7. Poker, bonbons et rendez-vous galant

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Sunnycreek, Caroline du Sud, vendredi 5 septembre 2014, 17 h 55.

La première semaine de cours avait été plutôt calme depuis l'annonce du devoir de Mme Ross. Tammy avait passé beaucoup de temps avec Sean pour essayer de commencer son portrait et m'appelait tous les soirs pour détailler chaque point positif qu'elle découvrait chez lui. Elle n'avait jamais vraiment témoigné de réel intérêt pour les garçons et c'était la première fois que je la voyais ainsi. Il est si intelligent, si mystérieux, si, si...

Sean était un garçon immensément grand, à la carrure un peu chétive et aux cheveux châtains, toujours coiffés en bataille. Il portait tout le temps des tee-shirts à l'effigie de divers groupes de rock. C'était un garçon plutôt mignon, mais tellement réservé qu'il était rare qu'une fille – qui que ce soit, en fait – le remarque.

Jake avait atterri avec George Keller, celui qui sentait toujours la banane et qui en prime bassinait tout le monde avec sa collection d'étiquettes de fromage. C'était un gentil garçon, mais il pouvait être un poil envahissant. Apparemment, sa mère leur avait servi pour leur première session de travail des beignets à la banane. Cette passion était donc génétique. Jake n'arrêtait pas de se plaindre de George, m'envoyant des textos ponctués d'emojis banane. À ce stade, il aurait été prêt à échanger nos binômes (même si les beignets étaient vraiment bons). Et Dieu sait que je savais la sympathie qu'il éprouvait envers Grayson.

Ce dernier s'était montré froid et distant toute la semaine. Hormis lors de nos trajets quotidiens sur la vieille Vespa d'Ernie, je l'avais tout juste aperçu et son sourire sarcastique, ses remarques rentre-dedans et sa manie d'être sur mon dos étaient portés disparus. Il me déposait au lycée, sans un mot, et fin de l'histoire. Je ne savais pas vraiment quel effet cela me faisait.

Ce que je ressentais était totalement contradictoire. En à peine quelques semaines, je m'étais habituée à sa présence, et ce changement soudain m'avait perturbée. Je ne pus cependant m'empêcher d'éprouver un certain soulagement, car je n'étais jamais vraiment à l'aise quand il était à proximité. Il m'intimidait, même si j'essayais autant que possible de lui tenir tête.

J'aurais aimé, comme Jake et Tammy, avancer sur ce devoir, mais pour le moment, je faisais chou blanc.

— Non, tu dois mettre cinq Dragibus et deux langues de chat ! Tricheuse ! s'écria Jake.

Noah, Mike, Tammy, Jake et moi étions assis autour de l'îlot central en marbre blanc de la cuisine. Nos parents discutaient dans le salon autour d'un julep, d'un gratin de maïs et de cornichons marinés au vinaigre. Tammy se défendit en pointant un doigt accusateur vers Mike.

— Mais Mike mange tous mes dragibus !

— C'est faux, essaya-t-il d'articuler, la bouche pleine.

En guise de preuve, il ouvrit grand la bouche. La gélatine mâchouillée de Schtroumpfs bleus nous offrit un spectacle merveilleux. Sa pause des bonbons avait été de courte durée. Je me demandais même s'il en avait fait une.

Mike avait voulu jouer parce que Noah en avait eu le droit – Noah savait jouer au poker, lui – mais afin d'atténuer son sentiment d'injustice, nous avions trouvé un stratagème pour l'inclure dans la partie, sans qu'il ait à jouer. C'était le devoir de toute grande sœur, comme lorsque je veillais à débrancher le fil de sa manette de console quand il avait quatre ans. Mike avait donc pour mission de traquer les tricheurs, parce que dans cette pièce, il y en avait au moins deux, et deux de qualité. Mon petit frère s'était néanmoins avéré peu efficace, car il était beaucoup trop facile à distraire. Jake reprit :

— Tu ne peux donc pas suivre. Nora ?

Tammy se renfrogna et je l'entendis presque maudire Jake.

— Je mise cinq Dragibus, deux langues de chat et trois Schtroumpfs.

Before we collideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant