Vieil-Œil regarda son auditoire. Il entendit les quatre silhouettes noires chuchoter entre elles, mais ne s'attarda pas. Se reportant sur les enfants, il les vit trépigner dans l'attente de la suite. Prenant tout de même le temps de boire une gorgée de soupe chaude que l'aubergiste lui avait servit, il observa encore un moment la salle, reposa le bol près du feu et reprit:
– Quand elle se fut un peu calmée, Maîtresse nous regarda un moment, les larmes coulant toujours le long de son visage... Maman essaya de la rassurer en se frottant à ses jupes, en ronronnant, mais ça a juste fait redoubler ses larmes. Alors elle nous a ramenés un par un sur notre couette, nous demandant de nous tenir tranquilles, et nous a tous longuement léchés. Maîtresse pleurait à nouveau, assise sur le bord de son lit, nous n'étions pas rassurés. Quelque chose de terrible allait arriver, on le sentait. Maman nous serra encore plus fort contre elle.
Soudain, le grand humain ouvrit la porte brutalement. Un sac à la main, il poussa rudement ma mère qui feula, m'attrapa par le cou, et me jeta dedans. Je ne voyais plus rien, et miaulai aussi fort que je pouvais, appelant Maman à l'aide. Je l'entendais elle aussi, et sentis qu'elle se jetait sur le sac pour m'en faire sortir, plantant griffes et croc dans la toile. D'un coup, plus rien. Maîtresse hurla, je m'inquiétais fort pour Maman, j'étais paniqué, je ne comprenais pas ce qui se passait. Pourquoi j'étais dans ce sac? Qu'avais-je fais de mal? Pourquoi mes frères et sœurs n'étaient pas avec moi? Et Maman, est ce qu'elle allait bien ?
A un moment je l'entendis, et je soupirais. Au moins elle allait bien. Je cessais de miauler, pour qu'elle n'ai pas encore envie de me sauver. Maman devait rester pour les autres.
Le sac fut soulevé, et le géant partit avec moi. La porte claqua une dernière fois, et je sus que je ne les reverrai jamais...
Avec mes griffes, je déchirais un petit trou dans la toile épaisse. Je ne pouvais pas passer mais au moins je voyais maintenant où j'allais. On sortait du château, je le compris au changement soudain de lumière. D'un coup, je me sentis voler, avant d'atterrir dans quelque chose de mou, puant et chaud. Comme je n'étais jamais sortit de la chambre, je n'avais aucune idée de ce qu'il se passait. Le sol se mit à bouger, et il y avait des bruits réguliers et d'autres grinçant, mon sac était chahuté par les soubresauts du sol... Je miaulais de détresse, j'avais l'espoir que quelqu'un m'entendrait et me sauverait.
Vieil-Œil s'arrêta de parler, caressant le chat toujours blotti contre lui. Un petit bout d'homme profita de la pause pour prendre la parole et poser une question.
– Dis, conteur, pourquoi le messant il a voulu jeter le chat?
Le vieux le regarda, attendri. Il aimait bien ménager des pauses pour que le public pose des questions. Et pour cela il laissait toujours des pistes dans ses récits.
– Mon petit, c'est parce que Loupiot est roux. Et les chats roux, on dit dans les grandes maisons qu'ils portent malheur.
Une petite fille se mit courageusement debout.
– Dis conteur, c'est dans une charrette qu'il est le chaton hein?
– Oui c'est bien ça.
– Mais pourquoi ?
– Parce qu'elle va au dépotoir. Et le châtelain veut que le charretier tue Loupiot, et le jette avec les ordures du château, afin d'éloigner la malchance de chez lui. Enfin, c'est ce qu'il pense.
Les enfants étouffèrent des cris. Quelques" Oh!" vinrent des adultes. Habitués à la violence du monde, ils s'étaient tout de même pris de passion pour ce petit chat innocent. La petite fille, les larmes aux yeux, demanda en sanglotant un peu, comment le chaton s'en était sorti. Alors le conteur, reprenant quelques gorgées de soupe, lui répondit:
– Rassied toi, et écoute bien!
La gamine obéit rapidement, gronda les autres qui chahutaient, et reporta son attention sur le vieil homme.
Vieil-Œil reprit dès que le silence fut revenu.
– J'ai miaulé tout le chemin. Je crois que c'était long, parce que ma gorge me faisait mal. Mais je continuais quand même. Maman me manquait déjà terriblement et je me sentais très seul. Enfin le sol s'est arrêté de bouger et on attrapa mon sac à nouveau. Je miaulai encore plus fort. D'un coup, je fus aveuglé. Le sac venait d'être ouvert et la lumière me cognait la tête. Un humain, gros et puant, me sortit par la peau du cou. Il serrait fort, ça faisait mal... Il me regarda sous tous les angles, avec un regard aussi malveillant que son sourire. Ensuite il me lâcha dans une boîte qu'il referma. Il y avait des trous, je ne pouvais pas m'échapper mais je voyais ce qu'il se passait. L'humain commença à décharger le sol à roues dans un trou, et ça dura longtemps... J'avais faim, j'avais froid... Le soleil se couchait et je ne savais toujours pas ce qui allait m'arriver. J'étais terrifié, et personne n'était avec moi pour me réconforter. Alors je me suis blotti dans un coin de ma prison, et j'ai attendu.
Je finis par m'endormir, étourdi d'ennui. Je ne sais combien de temps après, la boîte s'ouvrit. Un autre humain m'attrapa. Il me faisait très peur, il était sale, une bouche édentée et un sourire cruel... Lui aussi sentait mauvais. Après m'avoir regardé, observant mes dents et mes griffes, il donna une poignée de choses brillantes au gros. Il me jeta ensuite dans un sac crasseux qu'il balança sur son dos. Je compris ensuite qu'il marchait. Fatigué, je m'endormai pour de bon, en rêvant de Maman et de sa douce chaleur...
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Vieil-œil et le chat
AdventureLe conteur est de retour à l'auberge de la duchesse. Ce soir, il racontera l'histoire et le voyage du jeune chat roux, devant un auditoire attentif.