Douce chaleur

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 Vieil-œil se pencha sur le chat, le caressa, et d'une voix douce,il commença:

– Ma mère est la chatte de compagnie d'une dame de haute lignée. Sa maîtresse l'appelait Lila, et était très douce. Elle habitait déjà au manoir depuis quelques années.

Un jour, Maman tomba amoureuse du chat des cuisines. Il ne leur fallut pas longtemps pour nous concevoir, mes sœurs, mes frères et moi. J'ai entendu dire que la portée était attendue avec impatience. Nous sommes nés au terme d'une nuit de printemps.

J'étais alors aveugle et sourd, comme tout les chatons. Les premiers moments de ma vie me laissent en mémoire des choses douces et chaudes. J'ai encore sur la langue le gout du lait de ma mère, la chaleur de son corps, la râpe douce de sa langue. Mes premiers jours passèrent dans le noir et le silence. Je sentais seulement la chaleur de ma fratrie et les coups de langue de Maman.

Au bout d'une semaine, je commençais enfin à voir et entendre autour de moi. Je découvrais alors au fur et à mesure ma mère, ainsi que le nid douillet où elle nous avait mis au monde. C'était un grand placard, dont le sol était tapissé d'une grosse couette en laine. Nous y fîmes nos premiers pas, chancelants, désorganisés, sous les yeux doux de Maman. Souvent elle nous ramenait vers elle si nous partions trop loin à son goût, nous grondant de sa voix douce.

Le temps a passé et nous avons grandis tranquillement dans cette chambre. Nous avions parfois envie de voir d'autres endroits, mais maman nous l'interdisait. Souvent elle nous cachait dans le placard, nous intimant le silence jusqu’à ce qu'elle revienne. Elle nous expliquait qu'elle allait se balader et manger. Quand elle revenait, elle était pleine d'odeurs curieuses, qu'on ne connaissait pas. Nous l'enviions de pouvoir ainsi sortir, mais elle nous racontait que le monde dehors était plein de dangers, et que nous étions encore trop petits pour y aller. Alors on obéissait, et nous jouions jusqu’à n'en plus pouvoir. Ensuite nous tétions un peu, puis l'on s’endormait les uns contre les autres, sous le regard attentif de maman.

Un jour,la porte de notre petit monde s'ouvrit avec fracas. Quelque chose me souleva par la peau du cou, mon cœur se mis à battre très vite. Je regardais devant moi et vis alors une tête étrange, sans poil ni moustache, surmontée d'un étrange amas de quelque chose qui rappelait la couette. La tête me regardant aussi, je vis dans ses yeux quelque chose qui me fit très peur. Puis sa gueule s'ouvrit et un flot de bruit en sortit. On me relâcha brutalement, puis la grande forme partit rapidement de la pièce. De l'autre coté, nous avons très vite entendu des bruits, puis des cris. Quand la maîtresse de Maman entra, de l'eau lui coulait des yeux, elle semblait avoir du mal à respirer. La tête dans ses mains, elle ne bougeait presque plus. Je ne comprenais pas les raisons de toute cette agitation, et je ne savais pas encore à quoi m'attendre.

Vieil-œil et le chatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant