Au bout de quelques minutes, le conteur laissa son bol au chaud et reprit.
– Je fus réveillé par Alto qui me tapotait la tête du bout de sa patte. Encore fatigué, je me mis pourtant debout et le suivi. Il m'emmena à l'étage. Pour y accéder nous avons du passer par un trou dans la porte juste assez grand pour nous, puis monter un escalier. Voyant que je peinais à sauter de marche en marche, le noiraud me prit doucement par le cou et me transporta ainsi jusqu'en haut. Il me déposa ensuite sur une pile de caisse en bois, et me demanda d'attendre ici en silence et sans bouger. Curieux, j'obéis sans broncher. Il sauta à terre sans faire de bruit, et se mit à l’affût. Ses oreilles et moustaches étaient très mobiles, captant le moindre bruit ou vibration. Soudain, il s'aplatit sur le sol avant de se projeter en avant vers un sac de grains. J'entendis un craquement sourd, et il revint vers moi avec une chose molle dans la gueule.
– Ça mon petit, c'est un rat.
Il le posa.
-- Ça bouffe tout, et c'est méchant. Comme une tique entre deux coussinets !
D'une griffe, il me montra les dents du rongeur.
-- Et ça, ça t'ouvre facilement si tu fais pas gaffe. Joe s'est déjà fait avoir, crois moi c'était pas beau à voir. Donc pour le moment, eux, tu les oublies. J'vais essayer de te trouver une souris. Je te la ramène, tu la fini. Ma mère m'a appris comme ça.
--Comment on fait?
J'étais à la fois excité et effrayé à l'idée d'apprendre. Les dents du rat étaient vraiment impressionnantes, et je n'étais pas beaucoup plus grand que lui.
--Un bon coup de croc derrière la nuque. Et quand ça fait crac, t'es bon. La lâche pas avant, sinon elle s'enfuit!
-- D'accord, je vais essayer...
Il repartit en chasse, et trouva rapidement. Il déposa devant moi une petite chose grise, assommée par le choc. Je l'attrapai vite et tentai d'appliquer les conseil d'Alto. J'avais une patte sur son corps, mes crocs dans son cou, mais rien à faire, je n'y arrivais pas. Mon professeur me laissa faire un moment, puis il me prit de la bouche la petite bête. CRAC ! Il savait y faire, j'étais impressionné.
-- Allez, suivante. On fait la même, jusqu'à ce que tu y arrives.
Il repartit en chasse, et moi, sur ma tour de caisse, j'imitais ses mouvements. Quand il trouvait une souris, il me l'amenait, et je m'exerçais dessus. Je réussissais enfin à la sixième. Le crac avait raisonné dans mon crâne. J'étais très fier ! Mais je commençais à avoir faim et je salivais en regardant le petit tas
– C'est bon, attaque la bouffe. Tu l'as mérité. Encore un ou deux rat et je te rejoins. Oh, va pas t'étouffer avec un os, fais gaffe.
Je me jetai sur une souris, et mis un certain temps à percer la peau. Mes dents de lait n'étaient pas faites pour ça. Du coup, le temps que j'en mange une, Alto avait déjà fini sa chasse et mangeait ses prises. A la fin du repas, il me montra comment se débarrasser des carcasses. Il suffisait de les jeter par un petit trou dans le mur extérieur, et elle atterrissaient sur un tas d'ordure des humains.
– Comme ça, ça pue pas chez nous ! Allez, on redescend, c'est l'heure du deuxième service, faut pas être dans les jambes des humains. Sinon, bâton ou coup de pied....
– Y'aura Joe ?
– Non, il bosse aussi sur le deuxième. C'est le soir, y'a souvent des bagarres. Alors le tavernier il envoie Joe mordre quelques mollets pour calmer tout ça. Paraît que ça marche bien !
Manquant une marche à la descente, je dégringolais les escaliers jusqu'en bas, provoquant l'hilarité du chat. Une fois dans la cuisine, on se recoucha dans notre coin, tentant de dormir malgré le bruit.
Une gamine grimaçait dans son coin.
– Bouark! C'est dégoûtant!
– C'est la nature ma petite! Si les chats étaient végétariens, crois moi, ça grouillerait de bestioles ici.
-- Oui mais quand même !
Le vieux sourit et repris.
- Après la fin du service, alors que les cuisiniers nettoyaient, on nous donna à chacun quelques bouts de poissons. Ça non plus je ne connaissais pas, et j'ai adoré. Par contre, les arêtes, c'est pas terrible. J'ai vite pris le coup de patte pour les laisser de coté.
Les journées d'après se déroulèrent toutes de la même façon. Chasser, manger, dormir. Je n'avais presque plus besoin de demander à manger à Joe ou Alto. En effet, environ deux semaines après mon premier cours, j'attrapais ma première souris. C'était quand même plus facile si elles étaient vieilles, endormies, ou assommées par le noiraud, mais ça venait. Je laissais encore les rats de coté. Ils me faisaient peur.
Le temps continua à passer, et j'atteignis l'âge de six mois à la taverne. Maman ne me manquait plus vraiment.J'avais deux bons amis qui m'aidaient, et la vie n'était pas trop difficile à l'auberge. Il suffisait de rester loin des jambes humaines pendant les services, et bien faire notre travail. J'avais fini par apprendre à me débrouiller presque seul. La seule chose que je ne savais pas, c'est que tout allait encore changer pour moi.
Le conteur s'arrêta là. Son auditoire était tendu vers lui, enfants comme adultes. Cela faisait un moment déjà qu'il parlait, et il avait remarqué que deux ou trois enfants se tortillaient sur place. Il fit signe aux parents,et annonça une pause, le temps que tous soient à nouveau aptes à l'écouter complètement. En attendant, il s'adossa contre le foyer, étendis ses jambes et s'étira.
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Vieil-œil et le chat
AdventureLe conteur est de retour à l'auberge de la duchesse. Ce soir, il racontera l'histoire et le voyage du jeune chat roux, devant un auditoire attentif.