Vieil-œil et le chat

Les capuches

Tout le monde était resté jusqu'au bout. L'histoire avait tant passionné que mis à part les touts petits, personne ne s'était endormi malgré la fatigue de l'hiver. Les enfants tapaient dans leurs mains, venant tous un par un caresser le chat . Loupiot, lui, à moitié endormi par la chaleur du feu, se laissait faire aimablement, jetant régulièrement un regard au conteur, qui souriait de son coté. Les familles sortaient une par une, comme si elles partaient à contre-coeur.

Lorsqu'il ne resta qu'une dizaine de personne, les quatre silhouettes du fond se levèrent, et approchèrent de Vieil-Oeil. Celui ci se leva avec raideur, courbatu d'être resté si longtemps assis, pendant que Boran s'approchait d'eux avec déférence. Ce fut la Duchesse Kayla et Gilbert, son bras droit, qui abaissèrent leurs capuches en premier. Immédiatement, toutes les personnes présentes saluèrent leur Seigneur.

– Bonsoir mes amis. Bonsoir Conteur.

– Duchesse... "

Le vieux avait vu juste.Au cours de la soirée, une mèche de cheveux roux s'était échappée du lourd tissu. Jamais encore il n'avait eu l'occasion de l'approcher de si près. Il savait qu'elle était déjà venue l'écouter, mais cela s'arrêtait là, et il profita de l'occasion pour l'observer. Pas très grande, ses cheveux piquetés de filaments argents, la peau bronzée et couturée par des années de combats, elle portait en elle un quelque chose qui amenait la crainte et le respect. Gilbert, lui, cette montagne qui l'accompagnait en tout temps depuis des années, ne changeait pas de ce que Conteur en savait. Discret, puissant, aux ordres.

La duchesse se retourna vers les deux autres silhouettes, qui se dévoilèrent chacune à leur tour. La salle retint un cri en découvrant le Seigneur Insanius, le grand Seigneur Fou. Si il avait l'air relativement calme à ce moment là, chacun savait qu'il valait mieux se tenir loin de lui. Son regard avait la réputation de pouvoir provoquer des accidents, et bien d'autres légendes couraient à son propos. Vieil-Oeil n'en croyait pas une, mais par prudence, il recula un peu, comme la plupart des villageois de la salle. Le dernier à se découvrir fut le Duc Elwood, un Seigneur respecté par tous pour son bon sens, sa générosité et ses capacités d'arbitrage. Souvent il avait ramené la paix au milieu des Grands Seigneurs, sans qu'un soldat ne doive mourir pour cela.

Une fois remis de leur surprise, l'attention des villageois se reporta sur leur Duchesse, qui sourît à moitié, et prit la parole.

– Vieil-Oeil, tu as prouvé encore une fois ton talent.

– Ma Dame, vos compliments me vont droit au cœur...

– Le Duc Elwood est venu t'entendre dans le but de t'engager. Il a besoin d'un conteur talentueux pour animer certaines soirées au cour des semaines à venir. Tu voyagerais avec lui à l'aller, et au retour, tu sera escorté. Qu'en pense tu ? "

Elle fit une pause, et se tourna vers Insanius, qui s'amusait à faire peur au enfants en grimaçant dans son dos. D'un geste rageur, elle envoya son talon dans les jambes du Fou, qui grimaça, de douleur cette fois ci.

– Tenez-vous bon sang! Cessez de vouloir traumatiser tout le monde! Gilbert, surveille le. Où en étais-je ? Ah oui. Donc voilà pour toi Conteur. Pour Loupiot, et bien, j'ai une petite femelle noire à lui présenter. Soyez assurés que je serais ravie de voir leurs chatons courir partout au château. Tout le monde connaît mes lubies, ça ne choquera personne.

Vieil-Oeil réfléchît un moment, pesant le pour et le contre, afin de bien choisir. 

– Duchesse, permettez moi la franchise. Si je dois partir quelques temps à votre demande, il faudra compenser le manque à gagner auprès du tavernier.

– Il va sans dire.

--Il faudra bien veiller sur Loupiot. Je me suis beaucoup attaché à lui depuis notre rencontre, et je voudrais qu'il puisse vivre tranquillement maintenant.

– C'est évident.

– Alors, mes Seigneurs, j'accepte votre offre avec plaisir, et je vous suivrai, Sieur Elwood.

Il s'inclina devant le duc qui le remercia d'un signe de tête. Kayla reprit la parole.

– Bon! Voilà qui est bien. Boran, Gilbert t'attendra demain matin au château pour calculer ton dédommagement. Conteur, tu pars après-demain au matin. Tu déposeras Loupiot au château en même temps que tu prendras la route. Elwood, mon ami, vous veillerez bien sur l'ancêtre. Et ne tardez pas trop à me le rendre, nos soirées seront vides sans lui.

A peine avait elle dit ceci qu'elle se retournait et quittait la taverne, suivie par les trois hommes. Le Seigneur fou, qui fermait la marche, ne put s'empêcher de se retourner une dernière fois vers les enfants, ouvrant grand ses yeux et tirant la langue de son mieux. Criant, les enfants coururent se cacher dans les jupes de leurs mères, pendant qu'il passait la porte.

Vieil-Oeil soupira pour évacuer la tension qui était née en lui, et demanda un verre de vin chaud au tavernier, qui le lui servit avec bon cœur.

– Et bien, dis moi Conteur, je crois qu'on se fait tous peureux comme le merle ici...

– Pour ? Le Seigneur Fou ?

– Oui. Je t'avoue que j'aimerais bien savoir ce qu'il est advenu de Janus moi.

– Pas moi. Je ne risquerais pas ma vieille peau pour cette information... Enfin! Je repars voir du pays mon ami!

– Ça te démangeais de prendre la route, hé ?

– Oh oui ! Un an que je suis là, tu te rend compte? J'arrive à court d'histoire moi !

– Tout cela tombe bien alors ! Tu nous reviendras la caboche pleine !

– Et toi les poches.

– Hé, pas faux. Merci d'avoir pensé à moi.

– C'est normal.

Le conteur se leva de son tabouret, salua la famille de Boran qui rangeait la salle. Se baissant doucement, il attrapa Loupiot, le déposa dans sa besace pour le protéger du froid, et passa la porte. La nuit le vit se diriger vers la grange de Fern, le sourire aux lèvres.

Fin.