Cuisine et compagnons

443 32 14
                                    

 Les enfants sautèrent sur cette nouvelle pause.

Une petite fille toute brune demanda:

– Dis, conteur, c'est qui le monsieur moche? Il va où avec Loupiot?

– Ah ça, ma petite, tu vas vite le découvrir. Laisse moi juste boire encore un peu de ma soupe.

Il sourit, bu un peu, et repris.

– J'ai été réveillé rudement. On m'a encore attrapé par le cou, examiné, et de nouvelles choses rondes ont changé de main, et moi avec. L'homme sale partit aussi vite qu'il était arrivé, et on m'emmena dans une grande pièce qui sentait la nourriture, il y faisait chaud. La lumière m'éblouissait, et le temps que je m'y habitue, il n'y avait plus d'humain. La pièce était plus grande que la chambre d'où je venais. Il y avait un grand feu dans une très grande cheminée, une table immense au milieu de la pièce, sur laquelle étaient posés de nombreux aliments. Sur les murs étaient pendus de nombreux objets dont je ne connaissait pas l'utilité.  Mon ventre me faisait très mal, à cause de la faim et de la soif. Je n'avais rien mangé depuis ma dernière tétée, et elle remontait au matin précédent.... Je venais de décider de sauter sur la table pour prendre un bout de jambon quand une voix m'arrêta dans mon élan.

– Hé là gamin! Va pas faire de conneries, t'va te faire battre sinon. Descends!

Le ton était autoritaire mais doux. J'obéis, me dirigeais vers la voix, et découvris une énorme boule de poil derrière une caisse.

– Qui êtes vous ?

– Le chat des cuisines! Et toi, tu fais quoi chez moi ? T'a un nom?

– Je ne sais pas... Je viens du château, j'ai été emporté ici … Et maman m'appelait juste mon petit...

– Mon futur remplaçant donc. Pour ton nom... Ça viendra va.

Mon ventre gargouilla.

– Tu me fais peine gamin... tiens, prends mon reste de rat.

Miaulant un merci, je m'approchais de la carcasse. L'odeur était forte, je n'avais jamais mangé ça auparavant, et cela n'avait pas l'air très bon. Mais la faim me tenaillait tellement que je me jetais dessus, sous l'œil rieur du chat, qui m'observait. Quand j'eus fini, il me dit de m'allonger près de lui, se présenta à nouveau, et m'expliqua mon futur rôle.

– J'suis Alto, mais ici les humains m'appellent Noiraud, vu mon pelage. T'es ici dans une taverne, et là, c'est les cuisines. En gros, les hommes viennent ici pour boire et manger. Nous, notre rôle, c'est de chasser les nuisibles. Rat, souris, mulot... On doit tous les chopper. En échange, on peut les manger et vivre ici au chaud à peu près tranquillement. La où il y en a le plus, c'est ici et la pièce au dessus, le garde manger. C'est rempli de boustifaille là haut. Par contre, t'avise pas de grignoter leur nourriture, sinon c'est le bâton. Et crois moi, tu veux pas essayer...

Il grimaça.

– De temps en temps, quand ils sont de bonne humeur, ils filent les restes. Mais c'est plus souvent le chien qui en a. Tu as déjà vu un chien?

– Non... C'est quoi?

– C'est un animal comme nous, mais en plus grand. Celui là il s'appelle Joe. Un énorme truc tout blanc, avec des crocs comme mes pattes. Il est brave, mais faut pas le chercher. Lui son rôle c'est gardien. Il empêche les hommes de voler la taverne. Ensuite... Et bien, là il est tôt encore, mais ça va pas tarder à ouvrir. Ça va grouiller d'humain, les souris vont se planquer. On chassera entre deux services. Ensuite, la nuit noire, on la passe ici, à traquer. Après on peut pioncer un peu, et rebelote. Questions?

Je réfléchissais à tout ça un instant, sous le regard de l'imposant chat.

– Euh oui... Comment on chasse?

Alto me regarda, goguenard.

– Quel âge t'as mon minou?

– Trois mois je pense...

– Ah... Je me demande bien pourquoi ils t'ont pris toi, quand même. T'es tout petit, pas bien gros, et jeune. Bah... J't'apprendrai! Mais d'ici que tu te nourrisses tout seul, on est pas sortis...

Il s’arrêta de parler, écoutant comme moi un bruit sourd qui provenait de la salle à manger et se rapprochait. Je devinais que c'était Joe, et j'avais hâte de le rencontrer. La porte s'ouvrit, laissant passer un immense chien à la tête carrée, la mâchoire forte. Je pouvais voir ses muscles rouler sous sa peau et son pelage fin. Il m'intimida tant que je reculai pour me cacher derrière Alto. Le grand chien blanc me regarda et demanda d'une voix bourrue et rocailleuse:

– Hey Alto ! C'est quoi la demi-portion?

– Mon futur remplaçant! Vas pas le croquer sans faire exprès, t'aurais rien à bouffer dessus.

– Ouaip j'vois ça! En parlant de manger, début du service! J'ai fini ma garde, j'attends ma pitance.

– Tu voudrais pas en filer au petiot? Regarde moi ça comme il est maigrichon...

– T'as raison, il fait peine. J'lui filerais ce qu'il faut va.

A la seule mention de nourriture, mon estomac grogna à nouveau. Les restes de rat n'avaient pas suffit à combler ma faim. La porte se rouvrit, et une grosse dame amena une gamelle au chien. Elle me regarda aussi, mais s'éloigna en passant loin de moi et en faisant un signe étrange sur sa tête. Joe sauta sur sa nourriture et enfourna bruyamment sa pitance. Il m'en laissa une bonne de ses bouchées, et je pu à nouveau me remplir correctement l'estomac. Une fois fini, Alto me fit signe de revenir vers lui. Je remerciais Joe, et retournais près du noiraud pour m'allonger. Le ballet des cuisines commença peu après, et j'observais les humains brailler et s'agiter. Ils n’arrêtaient pas de faire des allers-retours dans tous les sens, se croisant sans cesse, hurlant à travers la pièce. La salle d'à côté faisait aussi beaucoup de bruit, des éclats de voix nous parvenaient de temps en temps. Alto me dit de dormir, nous avions encore trois bonnes heures devant nous avant d'aller chasser. Le ventre plein, et fatigué de toutes ces nouveautés, je m'endormais près de mon nouvel ami malgré toute cette agitation...

Vieil Œil fit une pause, et lança à la cantonade:

– En parlant de ça, quelqu'un aurait un petit quelque chose pour Loupiot? Il n'a pas mangé aujourd'hui, et je ne crois pas qu'il aime la soupe.

– Comme moi! Dit la petit brune, et les adultes rirent à cette exclamation.

Le conteur sourit, et son œil fut attiré par un mouvement à la table aux silhouettes sombres. L'aubergiste se dirigea vers eux, reçu quelques pièces. Il s'inclina en remerciement, et fila en cuisine chercher un morceau de jambon cuit. Il le ramena auprès du chat, qui se jeta dessus en miaulant. Les spectateurs rirent un peu, touchés par cette faim dévorante. Avant de retourner derrière son comptoir, l'aubergiste remplit à nouveau le bol de soupe pour Vieil-Œil, qui le remercia.

– Alors, pas de question cette fois les enfants?

Les enfants secouèrent la tête.

Alors que Loupiot mangeait son repas, le conteur but à petite gorgées la soupe chaude et bienfaisante.

Vieil-œil et le chatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant