Arrivée en terre folle.

347 36 14
                                    

Vieil-Œil fit une pause avant de reprendre.

– Mes amis, il me faut vous éclairer sur certains points. Le premier, c'est le lieux où se trouvent nos héros. C'est la ville d'Asylum.

La salle suspendit son souffle. Tous, petits et grands, connaissaient la folie et les dangers du lieu. Il était de notoriété publique qu'à moins d'en être natif, il valait mieux s'en tenir loin.

– Comme vous le savez, ces terres sont dirigées par le Duc Insanius, mais ce n'est pas lui qui nous intéresse aujourd'hui, c'est Janus.

Apparemment, personne dans l'assemblée n'avait entendu parler de lui. Il continua donc sa présentation.

– Janus est le boulanger de la ville, et le fournisseur officiel des cuisines du Duc. Je me dois de vous éclairer un peu à son sujet pour mieux comprendre ensuite les aventures de nos matous.

Les parents de Janus étaient des gens très simples, très bons. Un jour lors d'une balade, ils ont trouvé, sur un tas de fumier, un petit être hurlant. Ils ont choisis sans même se concerter de l'élever comme si c'était leur enfant. Pour son bien, ils ont cachés à tous l'endroit où Janus avait été abandonné. Éduqué par eux, le gamin grandit en apprenant la bonté, et il eu rapidement, comme ses parents adoptifs, le cœur sur la main. Son père lui transmit la passion de la boulangerie, l'art de cuire le pain, de créer des pâtisseries dignes de satisfaire le difficile Seigneur Fou. Ainsi, il passa une enfance heureuse et protégée.

A peine adulte, son père vieillissant lui avait confié l'échoppe. Il prit rapidement l'habitude d'héberger les mendiants de passage, et de nourrir les animaux errants. Ceux ci connaissaient dorénavant bien le jeune homme, et tous les soirs, on pouvait en voir arriver quelques uns réclamer une légère pitance. Le voyant si bien installé, ses parents autorisèrent son mariage avec une jeune femme, la fille du forgeron. Celle ci était belle comme un cœur, brune aux yeux marrons, la taille fine et les hanches pleines, une invitation à l'amour. Ce que, malheureusement, Janus ne parvint jamais à satisfaire complètement. Gentil comme il était, il la laissa aller voir ailleurs pour combler sa faim, prenant sur lui. Bientôt, les gens d'Asylum commencèrent à se moquer de lui derrière son dos. Le Cornu, qu'on l'appelait. La liaison de sa femme et du capitaine de la garde seigneuriale était connu de tous.

Quand notre gentil boulanger commença enfin à s'en apercevoir, son cœur devint aigre et la folie le ravagea petit à petit. Personne ne s'en aperçu de suite. Pourtant, son regard devenait fuyant, des animaux disparaissaient... Mais, qui fait attention au chien ou au chat de la rue ? Son cerveau malade le rendait plus dangereux de jour en jour. Voilà où en est ce pauvre homme au moment où Alto gratte la porte de l'écurie.

Les visages de l'auditoire étaient horrifiés. Le conteur avait clairement entendu un mouvement du coté des encapuchonnés. Si il pensait savoir qui se cachait en dessous, il n'en avait rien montré. De toute façon, à son âge, plus personne ne lui faisait peur.

Voyant que tous attendaient, il repris.

– Maintenant que vous savez ceci, reprenons. Alto gratte à la porte et...

– C'est qui ?

Une grosse voix de matou.

– Alto!

– Pas possible! On vous a pas dit ? L'est mort, foutez le camp !

– Bon sang Amati, c'est moi j'te dis !

Alto entra prudemment dans la pénombre. Je restais en retrait dehors, un peu refroidis de cet accueil. Pourquoi pensait il qu'il était mort ?

– Cré nom! C'est bien toi ? Laisse moi te regarder...

Je m'étais un peu approché pour voir ce qu'il se passait à l'intérieur. Je voyais Alto et Amati se tourner autour, s'inspectant l'un l'autre. Dans l'ombre je n'arrivais pas encore à distinguer sa robe.

– T'étais où, on t'a cherché !

– Dans un village sur la côte. Me demande pas pourquoi, pas envie d'en parler.

– Tu m'étonnes, la côte, pouah! Par contre, c'est ta mère qui va être contente tiens.

– Elle est en vie?

– Ouais. Je t’emmène la voir dans pas longtemps

Apparemment, on m'avait oublié, et je ne comprenais pas tout. Pourquoi ne m'avait-il pas dit qu'on rentrait chez lui ? Et pourquoi voulait il à tout prix cacher ces huit ans? Et l'Amati là, c'était qui ?

J'en étais encore à me poser d'autres questions quand ma tête percuta le sol de plein fouet, le souffle coupé par une tornade blanche. J'eus à peine assez de voix pour appeler à l'aide. J'entendis rapidement un choc sourd, et le poids sur ma poitrine disparu. Récupérant ma respiration, je me relevais, me collais contre un mur et regardais la scène qui se déroulait sous mes yeux. Mon sauveur venait de reprendre le dessus.

– Bracsa ! Grogna t il. Tu pourrais être plus aimable avec ceux que je ramène!

Le Bracsa en question était aussi blanc qu'Alto était noir. Par contre, ils avaient tout les deux les yeux bleus. Je sursautais presque quand elle lui répondit. Une femelle ! C'était la première que j'en entendais une depuis des mois.

– Que fais tu là frangin ? Je te croyais mort !

– Faut croire que c'est une habitude ici...

Elle frotta sa tête contre la sienne. Entretemps, Amati nous avait rejoint. Je pus enfin voir qu'il était de couleur sable, une grande tache blanche lui parcourait le ventre. Ce fut lui qui demanda qui j'étais. Je n'eus pas le temps d'ouvrir la bouche que le noiraud répondait à ma place, me signalant d'un regard de me taire.

– Voici Laslo. C'est mon ptit gars. Sa mère est morte il y a quelques semaines. C'est un bon gamin, vous verrez.

J'enrageais un peu. Il m'avait nommé sans rien me demander, présenté comme son fils, et comme un chaton. J'avais quand même six mois, c'était pas rien ! Cependant, je me calmais. Si il avait fait ainsi, c'était sûrement avec raison. Je pris donc mon mal en patience. Les deux chats m'observaient, l'air de chercher à se décider. Au bout d'un moment qui me parut très long, Bracsa prit la parole.

- Bienvenue Laslo, contente de faire ta connaissance. Moi, je suis ta tante. Lui, c'est notre oncle à nous. Pardon pour cet accueil, mais ce n'était vraiment pas prévu... Vous nous avez surpris tout les deux.

-Désolée ma sœur. Mais nous avons dû partir de notre village à cause de la peste, et je n'ai vu qu'ici pour venir me réfugier avec le petit.

-La mère est morte de ça ? s'inquiéta Bracsa

-Non, du tout. On est pas revenus avec, si c'est ça qui te fait peur.

Vu la tête de ma "tante" c'était bien le cas. Une fois rassurée, elle regarda son frère, et nous invita à la suivre. Elle nous emmena dans l'écurie, au fond d'une stalle. De petits miaulements en provenaient. Amati nous demanda d'attendre un moment, il allait prévenir Viola de notre arrivée. A mon avis, vu le barouf, elle devait déjà être au courant ! Un moment, après, je la vis sortir de la stalle. Couleur de sable elle aussi. Je m'attendais presque à une robe noire et blanche, j'étais un peu déçu. Elle couru vers mon ami, lui lécha toute la tête. Ce qui m'amusa beaucoup, vu l'expression gênée d'Alto. Ou de mon père, au choix. Quand elle eu fini, j'entendis sa belle voix rauque.

-Comme je suis heureuse de te voir ! Amati m'a dit que tu avais un chaton ? Elle me regarda. Oh qu'il est adorable ! Laisse moi un peu remettre de l'ordre dans ta fourrure toi !

Et elle attaqua ma toilette, manifestement ravie de me rencontrer. C'était mon tour d'avoir l'air ridicule, et je vis bien qu'Alto riait intérieurement. Quand je lui parus enfin convenable, elle nous fit signe de lui emboîter le pas, et nous mena dans la stalle. Ce que j'y découvris me stupéfia.

Vieil-œil et le chatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant