Chapitre 17

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PDV Hanna

─ Ma fille est bien malheureuse sans son mari à ses côtés, relève ma mère en désignant Victoria de la tête.

En effet, assise à la table du réfectoire, cette dernière trie des lentilles, la mine triste.

─ Ce sera son premier noël sans lui. Il doit terriblement lui manquer. J'étais comme elle avant la mort de mon Emmanuel. Paix à son âme, termine Tante Philo en se signant avant de poursuivre sa tâche c'est-à-dire pétrir la pâte.

─ Hanna, arrête de manger mes cerises, gronde Raven Fuller tandis qu'elle enfile un filet à cheveux.

Mince !

Je repose, sans mot dire, la poignée de fruits que j'avais chipée. Il existe des fois où je serais prête à parier que cette femme a des yeux derrière la tête. Je me rassieds sagement sur la banquette et me balance d'avant en arrière.

─ On sait déjà qui c'est, plaisanté-je quand la sonnerie du portable de ma sœur se met à retentir.

Elle me tire la langue alors que ma mère et tante Philo rient de cœur.

─ Passe-lui le bonjour, chérie.

─ Oui, maman !

─ Hanna, Job ne va pas tarder à venir nous livrer le lait. Va demander l'argent à ton père s'il te plaît.

─ Tout de suite, maman !

Je traverse le jardin puis monte les escaliers menant à l'étage au pas de course. Le bruit des enfants en train de jouer dans la salle de jeu résonne dans toute la maison. Au grand étonnement de tous, Milo s'est joint à eux ce matin.

Je m'arrête à l'éclat de la voix de Denver.

─ Je te l'ai déjà dit mon oncle. Pour moi, cet homme est mort et enterré.

─ Voyons, fiston ! C'est ton père que tu le veuilles ou non, objecte le Révérend Père.

Je me rapproche de la bibliothèque à pas de loup. Quand ils baissent d'un ton, je tends l'oreille désireuse d'en entendre plus.

─ Tu dois oublier toute cette rancœur qui te ronge depuis bien trop longtemps. Je ne reconnais en rien mon neveu. Où est donc passé le Carlos que je connaissais ? s'exprime le vieil homme d'une voix étranglée.

─ Il est mort il y a 4 ans.

─ Non. Il est encore là quelque part au fond de toi. Il attend juste d'être libéré.

─ Je te jure...

─ Ah non ! Ne blasphème pas, fiston. Ça non.

─ Il est bel et bien mort mon oncle. Il est mort quand j'ai découvert que mon père, l'homme que j'admirais plus que n'importe qui dans ce monde avait une famille à l'autre bout du monde. Il nous a menti à moi et à ma mère, explose le neveu. Mais le plus dur a été d'apprendre que ma mère était déjà au courant et qu'elle a préféré passer outre son infidélité.

J'écarquille les yeux.

─ Le cœur a ses raisons que la raison elle-même ignore mon garçon. Tu comprendras cela quand ton cœur se mettra à battre très fort dans ta poitrine pour la fille que tu aimeras.

─ Ça m'est déjà arrivé une fois. Ça me suffit amplement.

Le regard meurtri qu'il avait juste avant mon accident me revient en mémoire. Il doit s'agir de Louane.

─ C'est cette fille avec laquelle tu allais t'enfuir ?

Il ne répond pas.

Je me hâte de rejoindre la chambre de mes parents lorsque j'entends des pas se rapprocher. En m'endormant le soir, des milliers de questions trottent dans ma tête. Pourquoi Louane était-elle sortie avec Michael si elle prévoyait de s'enfuir avec Denver ? Se pourrait-il qu'elle soit finalement tombée amoureuse de lui ? Dans ce cas, c'est peut-être elle et non Michael qui m'a envoyé le texto, mais à partir de son téléphone à lui.

Le surlendemain, je sors de la maison en entamant un air guilleret. Noël s'annonce merveilleux encore une fois, songé-je en exécutant une double pirouette. J'adresse un clin d'œil à Émilie quand nos regards se rencontrent. Nous partageons toutes les deux le secret d'une très bonne nouvelle. Nouvelle qui ne pouvait pas mieux tomber. Je sens que rien ni personne ne pourra gâcher ma joie à part... Denver. Je marmonne un juron quand je le vois revenir du lac accompagné de Milo. Il me porte sur les nerfs. J'ai dû renoncer à me rendre là-bas parce que monsieur donne des leçons de natation.

─ Maman ! Maman ! J'ai réalisé une brasse coulée, s'écrie Milo lorsqu'ils arrivent à la hauteur de Rita.

─ Vous avancez super vite. C'est bien mon chéri.

─ J'ai le meilleur professeur du monde ! s'exclame le petit garçon sur un ton admiratif.

─ Le meilleur professeur du monde, le singé-je. Mais bien sûr.

Et Milo n'est pas le seul à l'admirer. Dorénavant, il fait, lui aussi, la lecture aux enfants à leur demande. Ce n'est pas juste. C'est à moi et à moi seul qu'incombe cette responsabilité. Il faut savoir partager, m'a chuchoté ma grande sœur, hilare, alors que je bouillais de colère.

─ Et toi, tu es un... Champion !

Denver soulève le garçon dans ses bras et tourne doucement sur lui-même. Milo rit aux éclats. Il faut avouer qu'il a beaucoup changé depuis sa rencontre avec Denver. Il n'est plus le petit garçon renfermé sur lui-même. La ressemblance entre les deux garçons me frappe de plein fouet. Les mêmes cheveux noirs d'ébène, le même rire, les mêmes... Yeux.

─ C'est fou comme ils se ressemblent, n'est-ce pas ?

C'est le Révérend Père Evan. Sans m'en rendre compte, il s'est approché de moi. Un sourire espiègle anime son regard bienveillant.

Je hoche la tête encore secouée.

─ C'est parce qu'ils sont frères.

Ma stupeur s'accroît à cette révélation. Frères ? Milo et sa mère sont donc l'autre famille dont ils parlaient. Denver, est-il au courant?

─ Tu te poses sûrement des questions après la conversation que tu as entendue l'autre jour. Oui, je sais que tu as écouté aux portes, ajoute-t-il quand je le regarde étonnée.

J'en deviens rouge écarlate.

Il m'entraîne dans la bibliothèque. Je m'installe sur un canapé en cuir situé en face de son fauteuil. Il commence à narrer d'une voix posée :

─ Mon petit frère lors d'un voyage d'affaires en Russie est tombé sur une ancienne camarade du lycée, Rita. Ils se sont remémorés le bon vieux temps autour d'un bon repas. Ils ont bu beaucoup trop de vin. Éméchés, ils ont couché ensemble. Le lendemain, Carl est rentré à New York oubliant complètement cet épisode de sa vie, jusqu'à ce qu'il y retourne. Un fils est né de cette liaison passagère, Milo. Rita ne lui a demandé qu'une chose, s'occuper de leur fils après sa mort, car elle a su entre-temps qu'elle était atteinte d'un cancer du sein. Mon frère a alors demandé à Rita de déménager à New York pour qu'il soit plus proche d'eux. Il en a aussi parlé à sa femme Kate qui a été compréhensive, mais pas mon neveu. Il y a 4 ans, il a surpris une conversation entre Rita et son père.

Il prend une pause, le regard perdu dans le vide.

─ Furieux, il est allé tout raconter à Kate, mais elle le savait déjà. Il s'est senti trahi... La tromperie de sa petite amie n'a fait que mettre de l'huile sur le feu. Mon neveu a quitté sa maison après avoir tenté de mettre à fin ses jours.

─ Il voulait se suicider, balbutié-je.

Malgré moi, l'image de Denver complètement déboussolé s'insinue à mon esprit. Il l'aimait tant que ça.

─ Il sait pour Milo ?

─ Non, ils l'ignorent tous les deux. Ils ont l'air de bien s'entendre, je ne veux en aucun cas gâcher cela.

Je me rappelle la discussion avec mon père le jour de mon arrivée. "C'est sa façon de faire son deuil" m'avait-il dit au sujet de Milo.

─ Milo sait pour sa mère, c'est pourquoi il était toujours triste, conclus-je.

Il acquiesce.

─ J'ai une question. S'ils s'entendent aussi bien que tu le dis, pourquoi ne pas leur révéler la vérité ?

─ Parce que je redoute la réaction de Carlos. En vérité Hanna, mon neveu n'est plus le même qu'il y a 4 ans.

*Rendez-vous au prochain chapitre pour la suite.;-)

HannaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant