Chapitre 2

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2.Grace

C'est une peu inquiète que je compose le numéro de la pharmacie. Je ne m'étais pas rendu compte de l'heure tardive et ne suis pas certaine que quelqu'un me réponde. Monsieur Hartnett décroche pourtant dès la deuxième sonnerie, me délestant d'un poids énorme.

— Pharmacie du centre, chantonne sa voix fluette, mais si familière.

— Monsieur Hartnett, Grace Mabron à l'appareil.

— Grace ? La petite Grace ? Oh ! Mon Dieu, j'ignorais que tu étais de retour. J'ai appris que tu avais été gravement blessée...

Je déglutis avec nervosité. L'inconvénient d'avoir été élevé dans une ville minuscule, c'est que tout le monde connaît... tout le monde. Et que les potins sont une denrée moins rare que les arbres de long de nos belles rivières.

La mort d'Emmett, mon meilleur ami, a forcément secoué la bourgade qui nous a vus grandir, bien que je m'en tienne à des suppositions sur le sujet. À l'époque de son enterrement, j'étais occupée à délirer sur mon lit d'hôpital, mais, de toute façon, même si j'avais pu ou voulu me recueillir sur son cercueil, sa mère ne l'aurait pas autorisé. À ses yeux, je suis la seule responsable du décès de son aîné. C'est en effet pour me suivre sur le front qu'Emmett a renoncé à terminer son école d'officier, brisant une tradition familiale vieille de plusieurs siècles. Et qu'il ait agonisé pendant que je me vidais de mon sang, une jambe déchiquetée par une bombe artisanale, n'a pas suffi à améliorer ma cote de popularité.

— Je... C'est tout récent et...

— Tu t'es installée en ville ?

— Non, au manoir.

— Vraiment ? La maison a bien besoin de travaux, non ?

— Oui, je compte d'ailleurs m'en occuper.

— Ah ! Quelle bonne nouvelle ! C'était tellement triste de voir cette belle bâtisse se détériorer au fil des années !

Une information qui va faire le tour de Falcon Creek avant même que la nuit soit tombée. Moi qui espérais me la jouer discrète, c'est raté !

— J'aurais besoin d'un service, monsieur Hartnett, le coupé-je avant qu'il ne me pose plus de questions. C'est un peu urgent, et je suis navrée de vous solliciter, mais...

— Je t'écoute, ma petite !

— Il me faut du lait maternisé.

— Mon Dieu ! Tu es devenue maman ?

— Je... non, c'est pour le bébé de... Beverly. Et, malheureusement, je n'ai pas de voiture. Est-ce que vous livrez toujours à domicile ?

— Non, mais, pour toi, je peux bien faire une exception. Il te faut quoi exactement comme lait ?

À l'idée de devoir retraverser la maison, et surtout d'affronter l'épreuve des escaliers, je me crispe sur place. Par chance, j'aperçois un sac sur le côté de l'évier, qui semble contenir des ordures. Une boîte de lait vide trône au milieu d'épluchures de pommes et de peaux de bananes.

— Lait premier âge Baby Sweet. Et si vous aviez des couches et une lotion nettoyante, ce serait vraiment gentil.

— Bien sûr. Je te prépare tout ça et, attends, je pense que j'ai trouvé un livreur.

Monsieur Hartnett éloigne le combiné de sa bouche, mais je continue de l'entendre parler. Une autre voix lui répond, quelques secondes avant qu'il pousse un cri de satisfaction.

— C'est bon, tu auras l'ensemble de ta commande dans moins de dix minutes.

Merci, Monsieur Hartnett, vraiment ! Je passerai demain ou après-demain pour vous payer.

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