Chapitre 7

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7.Grace

À l'époque où je rêvais de quitter Falcon Creek, ce qui m'angoissait le plus à l'idée de ne jamais réussir à partir, c'était le caractère immuable des choses. Rien ne changeait jamais, comme si les habitants se rengorgeaient de cette permanence effrayante.

L'unique supermarket de la ville ne déroge pas à cette règle. En six ans, rien n'a été modifié à l'intérieur : les mêmes achalandages proposent les mêmes produits, sous l'œil toujours aussi vigilant de Madame Paulson. Vigilant étant loin du compte, me corrigé-je en croisant son expression de fouine.

— Cette vieille bique est persuadée que chacun de ses clients est un voleur en puissance. Regarde comme elle nous épie, tous, me souffle Didi, sarcastique.

— Ça ne nous a jamais empêché de piquer des paquets de chewing-gum, rigolé-je.

— Grace Mabron, que voilà une surprise ! s'exclame la gérante, avant que j'aie le temps de dépasser le portique de l'entrée.

— Madame Paulson, me forcé-je à répondre, un sourire mi-figue mi-raisin sur les lèvres.

Didi ne se donne même pas la peine de faire semblant d'être polie. Elle se barre dans le magasin en reniflant de mépris. Elle devait avoir sept ou huit ans quand Louise Paulson a forcé sa mère à ouvrir son sac devant une assemblée avide de scandales. Mais Francesca Mac Carthy était peut-être pauvre, ce n'était pas une voleuse. Elle a régi avec son panache habituel à cette provocation et a retourné son sac au milieu de l'entrée, avant de se déshabiller. Après ça, Louise n'a plus jamais osé l'accuser. Didi lui en a, en revanche, gardé rancune.

— Eh bien, j'ai entendu dire que tu étais rentrée, mais je n'étais pas persuadée que ce soit vrai.

— Ah oui ? relevé-je machinalement, peu intéressée par son air curieux.

— Cette horrible affaire d'explosion, et la façon dont tu as obtenu ta médaille. Mon Dieu ! Je n'en reviens pas.

J'étrécis les yeux, pas bien certaine de la suivre. Cependant, s'il y a bien un sujet que je suis sûre de ne pas vouloir aborder avec elle, c'est justement celui-ci, peu importe ce qu'elle croit savoir. Ou a envie de déverser comme saloperies. La langue de vipère de cette commère est aussi acérée qu'une épée et, même si les clients se font rares à cette heure, mon retour est trop récent pour ne pas cristalliser l'attention générale.

— D'ailleurs, on n'imaginerait pas que tu as été blessée, continue-t-elle en louchant vers mes pieds. Ils font des choses formidables aujourd'hui, même si c'est avec notre argent et qu'on ne peut pas dire qu'ils l'utilisent toujours à bon escient. Enfin, toi, tu dois être contente, on parierait que tu as tes deux jambes.

— Oh ! persifflé-je, hérissée au point d'avoir envie de sauter à la gorge de cette vieille bique. Vous savez, un milliard de dollars pour une jambe bionique, ça reste bon marché. Et, maintenant, je peux courir jusqu'à quatre-vingt-dix miles à l'heure et bondir à six mètres de hauteur.

— De l'argent jeté par les fenêtres, oui !

— C'est bien ce que je leur ai répondu quand ils ont proposé de m'équiper également en bras bioniques.

Louise se penche en avant et lorgne sur les manches de mon manteau, essayant probablement de deviner si je mens ou pas. Mon Dieu ! Cette bonne femme est vraiment irrécupérable, en plus d'être pourvue d'un cerveau de bulot ! Mais la faire tourner en bourrique compense un peu la colère que j'éprouve à l'écouter déblatérer.

— Et je trouve que Super Grace sonne un poil moins bien que Super Jaimie, continué-je. En revanche, je réfléchis à l'option d'une armure à la Iron man, même si l'investissement représente plusieurs milliards de dollars. Mais, après tout, que ne ferait pas notre pays pour ses héros de guerre ?

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