Beyond the rules

Chapitre 4

4.Grace

Un vent brûlant m'enveloppe à l'instant où je quitte l'abri de la jeep, charriant une tonne de sable qui me cinglerait la peau si je n'étais pas protégée par mon casque et une visière. L'obscurité renforce mon sentiment que j'avance en terrain miné, ce qui, évidemment, est la plus stricte vérité. Dans ce coin paumé au milieu de nulle part, le danger peut surgir de n'importe où. D'autant plus quand l'endroit pourrait cacher deux otages américains.

Je referme le poing sur mon arme, le corps raidi d'une tension que j'expérimente à chaque mission. Être sur le qui-vive, toujours en alerte, prête à réagir à la moindre menace, voilà ce qu'est mon quotidien depuis que j'ai rejoint le camp de Darweshan. Je m'y suis habituée, à ça comme à la chaleur ou à la solitude.

— RAS, me souffle Emmett via mon oreillette.

La seconde suivante, sa main se referme sur mon épaule, geste de réconfort qui ne suffit pas à apaiser les battements erratiques de mon cœur. Je m'humecte les lèvres, incapable de m'affranchir d'un mauvais pressentiment. Parce que Bandjo n'est pas à mes côtés ? D'ordinaire, lorsque je pars en mission, mon chien est là, collé à ma jambe, prêt à repérer les bombes et les mines.

Avec ce sentiment amer de solitude et de regrets, j'examine les lieux, circonspecte. Les collines s'étendent à perte de vue derrière nous, habillées de buissons épais et touffus. Seul point d'ancrage véritable : la falaise qui nous bouche l'horizon et les façades creusées dans la roche, signe que des gens ont vécu ici. Aujourd'hui, les habitations semblent désertes, mais je ne me fie pas à cette impression d'abandon. Il flotte dans l'air quelque chose de trop insidieux, comme les relents d'une fatalité qui n'attend qu'un instant d'inattention pour nous engloutir.

— On y va par groupe de deux, continue Emmett en agitant la main vers les entrées. Grace, avec moi !

Je suis mon meilleur ami sans chercher à m'opposer à sa décision. Ça fait bien longtemps que j'ai compris qu'il aime me tenir à l'œil pendant une mission. Même si ça m'agace, sur le terrain, nous n'avons pas le temps pour ce genre de chamailleries. Emmett est à la tête des opérations ; j'obéis, point barre !

Un flash éclaire soudain la zone, et... l'instant suivant, nous ne sommes plus devant la falaise, mais au centre d'un village. Des enfants courent dans tous les sens, tandis que les adultes déambulent au milieu d'étals de nourriture. Un marché... Je fronce des sourcils en repérant trois hommes tapis derrière l'angle d'une maison, trop vigilants pour se confondre avec le reste de la population. Sur ma droite, un autre type sifflote près d'un vieux camion, lui aussi l'air trop acéré pour n'être qu'un badaud anonyme. Bandjo rue contre sa laisse et lâche soudain une bordée d'aboiements. Mon soulagement à le revoir à mes côtés balaie l'illogisme de ce saut dans le temps.

— C'est un piège ! hurle une voix au travers de mon émetteur.

Une seconde trop tard... Une bombe explose, me propulsant loin des villageois, de mon chien et de mes coéquipiers. Mes oreilles bourdonnent, rendant mon équilibre précaire. Je me relève, sonnée, et trébuche plusieurs fois avant de parvenir à me stabiliser. Autour de moi, il n'y a que désolation et mort. Des hommes... Des femmes... Des enfants...

J'ouvre la bouche, mais aucun son n'en sort. Un nouvel éclair m'éblouit et, cette fois, je me retrouve au milieu de nulle part. Il n'y a que des collines à perte de vue autour de moi. Des collines et mes coéquipiers. Et Bandjo. Indemnes. Je croise le regard d'Emmett et respire soudain mieux. Lorsqu'il s'approche de moi, je l'accueille d'un sourire tremblant. Je suis en sueur, les nerfs étrillés par une peur à la saveur d'angoisse. Je ne sais plus où je suis, ni pourquoi je suis là, mais la présence de mon meilleur ami me rassure.