Beyond the rules

Chapitre13

Hunter

La nuit a toujours été mon moment préféré. Entre la beauté d'une voûte céleste que rien n'égalera jamais et le silence de velours seulement percé par les bruits de la vie diurne, la tranquillité baigne ma propriété, m'incitant à lâcher la bride à tout ce que je retiens le jour. Ici, au cœur de l'obscurité, je n'ai plus à mentir ou à travestir ce qui m'anime fondamentalement.

Ma respiration s'apaise à mesure que je traverse les bois pour rejoindre l'enclos installé sur le flanc ouest de mon domaine. Le calme qui y règne est propice à accueillir mes pensionnaires un peu spéciaux. Plus en tout cas que la proximité de ma maison qui, si elle n'est pas pour ainsi dire bruyante, vibre d'une vie trop prégnante pour ceux que l'existence a cabossés.

Mes pas s'allongent à mesure que je me rapproche de mon but. Je me dirige à la seule lueur de la lune, confiant en ma connaissance du terrain. J'entretiens le sentier dès qu'il devient trop broussailleux, mais sans trancher franchement dans cette végétation qui a, ici, plus de droits que je n'en aurais jamais. Je m'adapte, reconnaissant à cette nature de m'accueillir avec mes failles et mes fêlures. Ces mêmes failles et fêlures que j'ai appris à camoufler à l'extérieur.

Alerté par le cri d'un oiseau, je lève les yeux au ciel, puis inspecte les environs en ouvrant tous mes sens. Mes épaules se relâchent lorsque je constate que la nuit reste insondable et confidentielle. Rassuré, je reprends ma marche et finis par émerger au clair de lune, dans une clairière aménagée très simplement. La grange était déjà ici avant que je m'installe, mais j'ai dû construire chacun des enclos qui l'entourent.

Je m'approche à pas de loup et récupère le seau pour remplir les abreuvoirs. À cette heure, la plupart de mes pensionnaires dorment, mais lui est là, comme chaque nuit. Sa longue crinière noire se confond avec les ténèbres, tout autant que sa robe brillante, mais ses yeux luisent à l'aune de la colère qu'il éprouve contre l'humanité.

Je me statufie quelques secondes, le temps de contempler sa silhouette altière. Flèche d'argent s'ébroue comme si mon regard avait caressé ses flancs encore trop décharnés, les babines retroussées sur ses dents. Un soupir m'échappe face à la souffrance que le pur-sang dégage. La bêtise humaine me sidérera toujours par sa violence et sa capacité à se renouveler. En ce qui concerne Flèche d'argent, j'ai bon espoir de le réconcilier avec l'existence, même si ce pari est foutrement risqué. Néanmoins, le sauver de l'abattoir m'est apparu comme une évidence lorsque j'ai appris son histoire. Une histoire pathétique et abominable, comme celle de tous mes pensionnaires. L'étalon arabe avait pourtant pris un départ victorieux dans la vie. Célébré pour ses qualités de leader sur les champs de courses, il a récolté assez de récompenses pour figurer sur la liste des étalons les plus chers au monde.

Un honneur qui ne l'a pas sauvé de la déchéance quand il s'est blessé. Relégué au statut d'étalon reproducteur, il s'est retrouvé enfermé dans une stalle sans plus avoir le droit de courir à bride battue. Ça l'a rendu violent et à moitié fou, au point qu'il a manqué tuer deux des palefreniers qui s'occupaient de lui. La décision, irrévocable, est venue dans la foulée, une mort programmée une fois que son propriétaire a pompé tout l'or que contenaient ses couilles.

Flèche d'argent a rejoint mon cheptel il y a seulement quinze jours. Méfiant et agressif, il refuse qu'on l'approche. Si le jour il se tient à l'écart des barrières de son enclos, la nuit, il veille tout autant, comme s'il s'attendait à ce que le destin lui joue un sale tour de plus.

Je n'ai pas l'intention de le forcer ni de le brusquer. Pour le moment, je le laisse goûter au contact revigorant du vent et du soleil sur sa fourrure. Je ne suis pas pressé. Je ne l'ai jamais été. La confiance se gagne avec du temps et de la patience. En attendant, j'apprends à connaître cet étalon farouche.