Chapitre 6

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6.Grace

Impossible de louper Desdémone Mac Carty, surnommée fort opportunément Didi, quand elle débarque quelque part ! Sa voiture remonte l'allée du Manoir en claironnant avec joie, jusqu'à lâcher un concert de klaxons ininterrompu une fois immobilisée devant mon perron.

Je me précipite vers elle avec un sourire qui n'exige, de ma part, aucun effort. Didi, c'est ma sœur, mon double loufoque, cette part de moi complètement timbrée que je garde cadenassée.

Notre première rencontre date de l'école primaire. Didi venait d'emménager en ville, et on ne peut pas dire que les autres gosses lui ont réservé un bon accueil. Déjà à l'époque, elle était trop bizarre pour ne pas dépareiller dans un univers aseptisé. Moi, je me souviens avoir adoré les nœuds argentés dans ses cheveux et sa robe cousue de plein de morceaux mal assortis de vêtements différents.

Didi était pauvre, mais sa mère, aussi folle soit-elle (elle était persuadée d'avoir été enlevée par des extraterrestres), avait de l'inventivité à revendre pour camoufler la misère. Et, surtout, c'était une femme affectueuse et aimante, à l'opposé de mes propres parents.

Sceller une amitié avec Didi ne m'a pas seulement nantie d'une amie fidèle pour la vie. J'ai découvert, en rencontrant sa mère, un duo chaleureux, quoique carrément anticonformiste. Et le statut de célibataire de Francesca Mac Carthy n'a pas aidé à étouffer les pires rumeurs qu'ait connues Falcon Creek. C'est d'ailleurs à cause de ces bruits qu'Emmett n'a jamais aimé Didi : certains prétendaient en effet qu'elle était la fille naturelle de son père, le vénérable capitaine Charles Calloway.

— Ma chewiiiie, s'exclame Didi en émergeant de sa coccinelle jaune vif.

— Bon sang, quand arrêteras-tu avec ce surnom ridicule ? répliqué-je en gloussant.

— Quand tu n'auras plus de poils aux pattes, me balance-t-elle avec un clin d'œil avant de m'enlacer avec enthousiasme. Merde ! Je suis tellement contente que tu sois rentrée à la maison ! Cet hôpital... beurk ! Mes chakras ne s'en sont toujours pas remis !

— Le changement de couleur de cheveux, c'est pour ça ? lui demandé-je en effleurant les mèches rose clair qui encadrent son visage.

Avec ses yeux bleus, son piercing dans le nez et sa bouche d'un rose plus soutenu, ça lui va comme un gant, mais je la connais assez pour savoir que ses innovations capillaires accompagnent systématiquement une crise existentielle majeure.

— Le rose, c'est...

Elle balaie l'air d'une main nonchalante, avant de m'offrir une moue digne d'une starlette hollywoodienne. La plupart des gens ne distinguent que l'avalanche de couleur chez mon amie, probablement parce qu'elle porte toujours des vêtements flashy. Aujourd'hui ne fait pas exception à la règle : sa jupe jaune, façon bohémienne, est associée à un top perlé violet qui brille de mille feux. Par-dessus, un gilet noir à mailles larges laisse apparaître assez de peau pour confirmer son statut de créature ultra sensuelle.

Seulement, moi, j'ai appris il y a longtemps à voir au-delà. Malgré son sourire, Didi n'irradie pas de sa lumière habituelle. Si je devais m'en tenir aux comparaisons mystiques qu'elle adore, je dirais que son aura frôle le gris poisseux.

— Le cœur, m'avoue-t-elle d'un ton un peu trop dégagé.

— Bryan ?

— Il est reparti vivre avec son ex.

— L'enfoiré !

— Les cartes m'avaient prévenue. J'aurais dû être plus attentive et le mettre dehors dès que j'ai compris qu'il avait gardé le contact avec Tori.

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