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Natsu, Kei et Kunimi étaient assis sur un lit, pelotonnés les uns contre les autres. Leur chiot, Godzilla, dormait sur les genoux de Natsu. Son petit corps chaud et parfaitement immobile, en dehors de quelques frissons et tics nerveux. Toute leur attention était concentrée sur lui. Tant qu'il était calme, ils se disaient qu'ils n'avaient rien à craindre. À tour de rôle, ils se relayaient pour le caresser, en faisant bien attention de ne pas le réveiller.
Les enfants du musée avaient installé un petit coin pour eux, dans la galerie des minéraux, une longue pièce monumentale partagée en trois par deux rangées de colonnes entre lesquelles étaient disposées de longues vitrines en bois remplies de pierres, de cristaux et d'étranges échantillons de métaux. Les gamins n'avaient eu aucun mal à diviser l'espace en chambrées, puisqu'il avait suffi d'accrocher des draps, des stores, du carton ou du contreplaqué entre les pieds des vitrines pour créer des espaces isolés. Quelques lampes à huile et des bougies chauffe-plats éparpillés aux quatre coins de la salle diffusaient une chaude lueur orangée, donnant à la galerie une atmosphère de village de toile au cœur de la nuit.
Tous les autres s'étaient endormis, à l'exception de ces trois-là, les plus jeunots des nouveaux, trop excités pour trouver le sommeil, et qui, assis dans leur box de fortune, chuchotaient dans le noir comme des gamins invités à dormir chez leur copain.

- J'sais pas vraiment si j'aime cet endroit, dit Kei. Je préférais Matsumoto. J'aimais bien, là-bas. C'était là que vivait la reine. J'aimais bien c't'idée. Ici, ça fout la trouille.

- À la lumière du jour, ça sera différent, répondit Natsu, pressée de repousser toute idée noire.

Kunimi ne disait rien. Il se contentait d'écouter, les doigts éternellement occupés à malaxer le morceau du pâté à modeler dont il ne se séparait jamais.

- J'aime pas ici. C'est bourré d'adultes, se plaignit Kei.

- Au palais aussi, y avait des adultes, répondit Natsu. Je les ai vus quand on partait. Des rois et des reines.

- On aurait dû rester là-bas.

- Si Yukie et Kuroo ont trouvé que c'était mieux de venir ici, alors c'est mieux, dit Natsu. Ils savent toujours ce qu'y faut faire. Ils nous ont fait traverser tout Tokyo, non ?

- Y avait de la bonne bouffe au palais.

- Y aura de la bonne bouffe ici aussi.

- Comment tu sais ?

Kunimi y pensait, justement. Manger. Il avait faim. Mais ayant toujours eu des difficultés à se nourrir, il était maigre comme un clou. Avant que sa mère et son père ne meurent de l'épidémie, il mangeait tous les jours la même chose. Des céréales et un toast grillé, sans beurre, au petit déjeuner. Un club-sandwich au jambon au déjeuner et du poulet pané accompagné de chips et de haricots pour le dîner. Il en salivait rien que d'y penser. Le passé lui apparaissait comme un paradis perdu, regorgeant de choses merveilleuses. De la bouffe comme ça, c'était plus qu'un rêve aujourd'hui.
Il baissa les yeux sur ce que ses mains avaient façonné. Un dinosaure. Peut-être bien un dinosaure-dinde. Ils en servaient, quelque fois, à l'école. Pas si mauvais. Il aimait bien les dinosaures. D'ailleurs, ce musée était une de ses sorties préférées, avant le désastre. Il ne se lassait jamais de contempler les fossiles de dinosaures. Ils ne bougeaient pas. Ils restaient toujours pareils. On pouvait voir comment ils étaient faits. Il savait exactement combien d'os il y avait dans chaque fossile. Les animaux naturalisés aussi, il aimait bien. À jamais immobiles. On pouvait les regarder droit dans les yeux sans qu'ils réagissent. Tout le contraire du zoo, où les bêtes sautaient et couraient partout, ce qui le rendait perplexe, car il ne savait pas trop ce qui se passait dans leurs cerveaux d'animaux. Il n'était pas comme Kei. Il était content d'être là, et même impatient que le jour arrive pour partir à la découverte du muséum. En fait, avant, si on lui avait demandé dans quel endroit au monde il aurait préféré vivre, il aurait répondu : ici.

- Z'avez entendu ? chuchota Kei en levant les yeux au ciel.

- Quoi ? dit Natsu.

- J'ai entendu des grattements.

Maintenant, Kunimi tendait l'oreille lui aussi. Natsu et lui les perçurent au même moment. Des frottements réguliers, cadencés.

- J'aime pas ça, dit Natsu.

C'est alors qu'un garçon en pyjama passa la tête dans leur box.

- Vous pouvez pas vous taire, les minots ? Vous empêchez tout le monde de dormir.

- On a entendu du bruit, répondit Kei.

Le garçon en pyjama écouta. Durant quelques secondes, ce fut le silence. Et puis les frottements reprirent.

- Bah, ça peut être n'importe quoi, dit le garçon avec une moue dédaigneuse. Y a toujours des bruits ici. C'est comme dans une très vieille maison. En plus grand. Vous vous y ferez.

- Ça se peut que ce soit des adultes ?

- Quand bien même, ils ne pourraient pas entrer ici, répondit le garçon. La galerie est blindée. À l'origine, elle a été conçue pour conserver les minéraux les plus précieux. Certains ont une très grande valeur. Au bout, y a une salle qui est une vraie chambre forte, comme les coffres-forts de banque qu'on voit dans les films. On peut pas être plus en sécurité qu'ici. Demain, je vous ferez visiter. Vous nous aiderez à nourrir les poulets.

- Super, dit Natsu. J'aime bien les poulets.

Kunimi sourit. S'ils avaient des poulets, ils avaient peut-être aussi du poulet pané.

- Maintenant, bonne nuit, dit le garçon. Ce bruit, c'est rien. Faut dormir.

- Comment tu t'appelles ? demanda Natsu.

- Tout le monde m'appelle Wiki.

- Bonne nuit, Wiki. On n'a plus peur maintenant.

ENEMY Tome 3 : Les déchus Où les histoires vivent. Découvrez maintenant