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Pourquoi ils mettaient autant de temps là-dessous ? C'était si loin que ça, le dépôt ? Pourquoi ils étaient pas encore revenus ?
La vérité, c'était que Yamamoto n'avait absolument aucune idée du temps qui avait pu s'écouler depuis le départ de Kuroo. Et pour cause, puisqu'il n'avait pas de montre. Pratiquement plus personne n'en portait de nos jours, pour la simple et bonne raison qu'il était impossible de les mettre à l'heure de manière fiable. Si vous preniez trois pendules au hasard, il y avait toutes les chances pour qu'elles affiches trois heures différentes. Ou, plus fréquent encore, qu'elles soient toutes arrêtées. D'ailleurs, même avant, Yamamoto n'en portait pas. Une année, son oncle lui en avait offert une pour son anniversaire, mais il ne l'avait même pas essayée. Quel intérêt d'avoir une montre quand on avait un téléphone ? Sauf que, maintenant qu'il n'y avait plus d'électricité, les téléphones ne fonctionnaient plus. Idem pour les horloges.
Dans ces conditions, il ne pouvait que présumer depuis combien de temps les autres étaient partis. Ça pouvait faire cinq minutes ; ça pouvait faire une demi-heure. Et il était de plus en plus nerveux. Il n'arrêtait pas de penser à la coupure qu'il avait au bras. Aux germes, aux bactéries, à Ant sur son lit de souffrance, à l'hôpital...
Il leva les yeux vers ses potes : Brandon, Jake et Kamal. Des garçons qu'il connaissait depuis des années, aux côtés desquels il avait combattu, sa bande. Des gars qui l'admiraient et qui ne doutaient pas qu'il s'était toujours là pour eux. Ils discutaient tranquillement, assis sur des banquettes.

- Hé ! Fait chaud, non ? lança Yamamoto.

Jake haussa les épaules.

- Z'avez pas chaud ?

- Ça va, répondit Kamal.

- Ouais. Donc fait pas plus chaud que ça, hein ?

- Nan.

Du plat de la main, Yamamoto se mit à taper un rythme sur ses cuisses. Hors de question de montrer qu'il avait peur de stupides bactéries. Il allait les chasser de là au son du tambour.
Tap-tap-tap, tap-tap-tap.
Le truc marrant, c'était que... Non, pas marrant du tout, en fait. Au contraire. Bref, par une cruelle ironie du sort, pendant qu'ils étaient à l'hôpital, au chevet d'Ant, ils avaient vu à la télé le premier reportage faisant état d'une étrange maladie qui s'était déclarée dans le pays. Toute la famille avait suivi le sujet avec attention car ils étaient obsédés par les maladies à ce moment-là. Le présentateur avait déclaré que les symptômes étaient similaires à ceux de la peste bubonique : fièvre et enflures.
Dieu, comme tout s'était rapidement enchaîné après cela ! Ant n'était jamais sorti de l'hôpital. Pauvre petite crapule. Tout le travail des médecins. Tous les médicaments qu'on lui avait administrés. Tout ça pour rien. Le temps qu'Ant ait retrouvé suffisamment de force pour se lever de son lit, l'épidémie ravageait la ville. L'hôpital avait été mis en quarantaine, pour éviter la contagion. Personne ne pouvait plus entrer ni sortir. Yamamoto était coincé chez lui, où le drame couvait. En effet, très vite, sa mère était tombée malade et avait assassiné son père. La police l'avait emmenée. Yamamoto ne savait plus quoi faire. Le monde devenait dingue. C'est alors qu'il avait eu l'idée de retourner à l'hôpital pour sauver Ant.
Ça, ça avait été terrible.

S'introduire dans l'établissement ne lui avait pas posé de problème. Tous les agents de sécurité étaient malades. Par contre, à l'intérieur, c'était un vrai film d'horreur. Des gens malades, des cadavres, du sang, du pus et des excréments partout. Tant bien que mal, il avait réussi à rejoindre le service où Ant était hospitalisé. C'était l'enfer. Les médecins et les infirmières avaient chopé la maladie, les patients, tout le monde. Et ils s'entretuaient. Yamamoto avait rapidement compris qu'Ant n'avait pas pu survivre. Malgré ses efforts, il n'avait pas retrouvé le corps. Dans un sens, il valait mieux.
C'était là, dans l'hôpital Whittington, que, terrorisé, enragé et désespéré, il avait tué son premier adulte. Une infirmière à moitié obèse, qu'il avait poussée dans les escaliers. Ça ne lui avait fait ni chaud ni froid. Au contraire, ça l'avait soulagé. Il n'éprouvait aucune peur quand il se battait. Et il n'aimait pas les hôpitaux, pas plus que les infirmières et les médecins.
Un mouvement, dehors, attira son attention. Tournant la tête, il aperçut une ombre qui avançait en claudiquant bizarrement. Les autres l'avaient repérée aussi. Brandon se redressa.

- Regardez-moi ça.

Yamamoto n'arrivait pas à voir de quoi il s'agissait. Il s'était tellement monté le bourrichon avec ses histoires de bactéries qu'il était un peu confus. Les vitres teintées incrustées de crasse n'aidaient pas non plus. On aurait dit qu'une grosse masse informe se tortillait contre la façade. Quelque chose de mouvant, qui semblait s'étendre et se reformer, comme un truc sous un microscope. Un machin liquide. Qui changeait de forme. Ensuite, il vit que ça avait des yeux, et aussi des dents, des pattes, plein de pattes. Des centaines de pattes.
Merde, c'est quoi ce délire ?

ENEMY Tome 3 : Les déchus Où les histoires vivent. Découvrez maintenant