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Yukie s'était figée, bouche bée. L'immense pièce était remplie d'énormes statues, de morceaux de maçonnerie ornés de bas-reliefs, de pierres tombales, de colonnes gigantesques... C'était comme se retrouver dans le château de l'ogre de Jack et le haricot magique. Tout était beaucoup trop grand, trop foisonnant. Il y en avait jusqu'au plafond, entassé pêle-mêle à la manière de quelque butin pillé dans des palais royaux.

- C'est quoi, ça ? demanda-t-elle.

- Ce sont des moulages en plâtre de toutes les merveilles du monde, répondit Brooke. Ces colonnes viennent de Rome. Elles ont, genre, mille ans ou plus. Enfin, je crois.

Elles étaient dans la hall du musée Victoria et Albert, à un jet de pierre du musée d'Histoire naturelle, juste au coin de la rue. L'édifice était construit autour d'une grande cour carrée sur les enfants avaient mise à profit pour cultiver de la nourriture. D'ailleurs, certains d'entre eux étaient au travail quand la petite troupe était entrée, mais Brooke les avait dépassés sans les voir pour courir dans partie préférée, la galerie des curiosités.

- C'est pas génial d'avoir tout ça à portée de main ? dit-elle en écartant les bras et en tourbillonnant sur elle-même comme une petite fille. On peut y venir quand on veut. C'est entièrement à nous maintenant !

- D'un chiant, commenta Lev. Que des vieux trucs.

- Non, dit Yukie. C'est magnifique.

Elle n'en dit pas davantage, de peur que les autres la charrient, mais, au fond d'elle-même, elle ne pouvait s'empêcher de s'émerveiller devant cet étalage d'objets prodigieux, témoignant de l'incroyable étendue du génie humain. Oui, face à tant de beauté, on ne pouvait qu'être impressionné. Que de travail et de savoir-faire dans le moindre de ces objets ! Elle lutta contre les larmes. La civilisation se terminait-elle avec eux ? L'humanité serait-elle un jour de nouveau capable de produire de telles choses ? Combien de siècles faudrait-il pour qu'il réapprennent ces techniques, pour qu'ils retrouvent ce doigté, cette dextérité ? Pour l'heure, ils n'avaient pas d'autre alternative que de vivre dans les ruines de l'ancien monde, de construire des huttes de terre en regardant le reste se déliter, de se chauffer au bois, de se vêtir de défroques des morts et de s'extasier devant des vestiges.
Dans un sens, le monde entier était devenu un musée.

- Allez, dit Lev. C'est tout moisi ici. Je croyais qu'on allait faire du shopping.

- Ouais, t'as raison, acquiesça Brooke, on ferait mieux de se dépêcher avant qu'il fasse nuit.

Et le charme se rompit.

- Puisque je vous dis que je n'ai pas besoin de nouvelles fringues, protesta Yukie avec l'impression de se répéter pour la centième fois. J'ai tout ce qu'il me faut. Je viens juste de choper ce blouson en cuir. J'ai pas besoin de plus.

Brooke la regarda de la tête aux pieds et fit un petit bruit dédaigneux entre ses dents.

- Tu pourrais t'arranger mieux que ça, ma fille. Te mettre plus en valeur.

- Me mettre plus en valeur ? Mais je ne veux pas me mettre plus en valeur. Je suis très bien comme je suis.

Brooke éclata de rire.

- Tu sais ce que tu veux, toi, hein ?

- Aujourd'hui, oui. Ça n'a pas toujours été le cas.

- Z'êtes sûres qu'y a rien à craindre ? demanda Natsu, à qui Shimizu avait demandé de venir pour essayer de lui remonter le moral.

La petite était restée collée à son chaperon et ne lui avait pas lâché la main un seul instant.

- Les crevards n'ont même jamais essayé d'entrer, dit Brooke. Pourquoi s'enquiquineraient-ils avec ça ? Il n'y a rien pour eux ici, seulement des statues, des vieux meubles, des bijoux, des peintures, des faïences. C'est de la folie.

ENEMY Tome 3 : Les déchus Où les histoires vivent. Découvrez maintenant