27.

9 3 0
                                    

  Jibber-jabber entendit un bruissement. Quelque chose qui frottait contre un mur.
  Il tremblait comme une feuille, à en faire bouger la cuvette des toilettes, trop terrorisé pour faire un geste, pour remonter son pantalon ou appeler à l'aide.
  Il ne voulait surtout pas trahir sa présence.
  Où était Natsu ?
  Si seulement quelqu'un venait ! Si seulement quelqu'un avait envie d'aller au cabinet ! Il ouvrirait la porte. Le sauverait. Lui qui avait toujours fui la bagarre. Il ferma les yeux et sentit perler des larmes.
  Quelle horrible façon de mourir. Assis sur de stupides chiottes. Affreux.

  Natsu croyait avoir entendu du bruit. Quelqu'un. Qui se déplaçait dans l'obscurité du hall. Tout doucement, elle appela : « Y a quelqu'un... ? » Mais personne ne répondit. Elle serait bien allée voir, mais elle avait promis à Jay Jay de ne pas bouger. Elle aurait voulu se fondre dans le mur. Tous les trucs qu'il lui avait racontés lui avaient fichu les jetons. Avant, ça allait. Les événements s'étaient tellement bousculés qu'elle n'avait pas eu l'occasion de penser aux mauvaises choses. Si seulement Shōyō était là. Ils se seraient entraidés pour surmonter les épreuves. Ils auraient pris soin l'un de l'autre. Elle lui envoya une sorte de prière. Pour que, de là où il était, il veille sur elle.
  Elle se figea.
  Il y avait bel et bien quelqu'un.
  Où pouvait-elle se cacher ?
  Si elle bougeait, il l'entendrait. Et si elle appelait de nouveau...
  Qui ça pouvait être ?
  Pourquoi est-ce qu'il avançait comme ça, sans bruit ?

  Jibber-jabber restait assis là, les paupières hermétiquement closes, les genoux s'entrechoquant. Il avait froid. Il se sentait défaillir. Il était terrifié. À deux doigts de vomir. Le bruissement se rapprocha encore. Ils avaient pigé qu'il était là. Si seulement il avait verrouillé la porte du cabinet ! Son cœur battait si fort qu'il était persuadé que cela s'entendait du dehors.
  Mais il y avait encore de l'espoir, n'est-ce pas ? Quelqu'un allait venir. Un grand. Ou même un petit. N'importe qui.
  Il y avait encore de l'espoir, il y avait encore...
  Soudain, un coup retentit sur la porte des toilettes et celle-ci s'ouvrit à la volée. Jibber-jabber poussa un cri.

  Samira avait définitivement abandonné l'idée d'aller aux toilettes pour se concentrer entièrement à la recherche du matériel de suture.
  Et il était là ! Soigneusement rangé dans une nouvelle armoire, dans une barquette en plastique dûment estampillée « aiguilles et kit de suture ». Cass et Alexandre étaient des maniaques de l'étiquetage et du rangement. Pourquoi ne rassemblaient-ils pas tout en un seul et même endroit, elle l'ignorait. Ils ne connaissaient pas grand-chose à la médecine et ils n'étaient pas particulièrement doués pour la pratique. Ils avaient encore beaucoup à apprendre pour arriver à son niveau, ou à celui de Shimizu. Shimizu était vraiment incroyable.
  Finalement, peut-être que leur manie de tout ranger n'était qu'une manière de montrer qu'ils contrôlaient certaines choses, un moyen de convaincre tout le monde qu'ils savaient ce qu'ils faisaient.
  Mais Samira voyait clair dans leur jeu. C'étaient des administrateurs. Des gestionnaires. Ils ne seraient jamais aussi bons qu'elle.
Elle attrapa la boîte en plastique et referma la porte du placard d'un coup d'épaule.
Puis elle se retourna et eut un choc.
Elle sursauta en poussant une sorte de petit hoquet.
Quelqu'un était là.
Comprenant qu'il ne s'agissait que d'un garçon, elle se détendit. Alors qu'il sortait de l'ombre, elle reconnut Kenjirō Shirabu, l'air malade, les yeux rouges, la peau sèche et pelée.

- Kenjirō ! s'exclama-t-elle. Qu'est-ce que tu fais là ? J'ai failli faire dans ma culotte. Ne refais plus jamais ça !

C'est alors seulement qu'elle fut frappée de le trouver là.

- Au fait, d'où tu sors ? T'étais où ? On t'a cherché partout. On pensait que les crevards t'avaient eu.

Pour toute réponse, Kenjirō s'approcha d'elle et leva lentement la main, comme s'il allait lui caresser le visage. Samira fronça les sourcils. Au dernier moment, il ferma le poing et donna un coup sec de bas en haut, dans la gorge.
Et puis son bras décrivit une ample arc de cercle et son couteau trancha la trachée-artère de Samira. Elle s'étrangla, gargouilla, puis vacilla en arrière, paralysée par le choc. Pris de convulsions, son cœur s'arrêta de battre.
Samira s'effondra contre un présentoir en verre, avant de choir sur le sol.
Son cœur s'était arrêté, il y avait étonnamment peu de sang.
Kenjirō se pencha sur elle et vérifia qu'elle était bien morte.
Il ne s'attendait pas à ce que ce soit aussi facile.
Pour entrer, il était passé par la porte donnant sur la terrasse, juste à côté de la cafétéria du labo, avec l'intention de descendre dans le grand hall. Et puis, apercevant Samira, il avait revu ses plans. Ce serait beaucoup plus facile de la traîner jusqu'à son antre depuis cet endroit.
Sautillant gauchement d'un pied sur l'autre, l'affreuse créature s'approcha et sonda le corps sans vie à l'aide de son long bec osseux et pointu.

- J'pensais pas que t'aurais les tripes. J'croyais que t'avais du pipi de chat dans les veines.

Kenjirō le chassa d'un coup de pied.

- Du balai ! C'est ma prise.

La chose l'inonda d'un chapelet d'insultes auxquelles Kenjirō répondit par un nouveau coup de tatane. Le volatile s'enfuit à l'autre bout de la pièce, s'effondrant dans un fouillis d'os, de cuir tanné et de plumes huileuses, sous les rires moqueurs de Kenjirō.
Il venait de montrer à l'oiseau qui était le chef. Il allait le montrer à tout le monde.
Il se plia en deux et souleva Samira de terre.

ENEMY Tome 3 : Les déchus Où les histoires vivent. Découvrez maintenant