Chapitre 10

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16 Octobre 1862 - Océan Pacifique - à bord de l'Etoile du Sud.

Depuis deux jours la tempête fait rage. Le Pacifique ne mérite pas son nom: l'appeler ainsi est soit de la dérision, soit... rien du tout. C'est idiot, c'est tout!

Je suis confiné dans les quartiers des voyageurs. Enfin, c'est un bien grand mot pour la cabine minuscule où je me trouve; sans hublot et où je peux à peine me tenir debout sans me cogner le front. Si j'étends les deux bras, je peux toucher les deux cloisons dans la largeur ou presque.  La longueur n'est pas mieux, juste la place d'y poser une petite malle au bout d'un grabat qui sent le renfermé. Ma liberté est à ce coût. 

Cela fait une semaine que je végète sur ce rafiot à destination de l'Australie: une éternité qu'il va falloir multiplier par trois ou quatre pour arriver à Sydney. L'Etoile du Sud n'est pas un bateau qui mène des passagers pour l'agrément. Les rares voyageurs ne sont qu'une cargaison supplémentaire aux victuailles séchées, draps, outils et matériels divers destinés la colonie. Le trafic commence tout juste à se renforcer depuis qu'on a découvert des gisements d'opale en plein milieu d'un désert qu'on dit immense. 

Drôle de destination pour fuir une Europe pourrie et une Amérique qui se construit sur des cadavres. Sur le bateau, la nourriture est infecte, l'équipage à peine plus éduqué que ces ours qu'on voit danser dans les foires populaires. Malheureusement, c'était le seul navire en partance à cette période de l'année, je n'ai pas eu le choix. En y pensant, cela vaut peut-être mieux: père aura du mal à savoir où je me trouve. Adieu mariage arrangé ! Je n'ose imaginer le scandale à Londres mais peu importe: tout cela est derrière moi maintenant. Malgré les conditions de voyage, je me sens heureux de vivre comme un rustre sur ce bout de bois dont on se demande s'il va arriver à bon port! Je préfère cela que voir mon âme mourir à petit feu à  l'autre bout de la terre. Quoiqu'une mort bien plus physique en pleine mer n'est pas à exclure non plus au vu des conditions atmosphériques!

Je remercie le Ciel, Dieu et je ne sais qui d'autre de ne pas souffrir du mal de mer. Sans cela les conditions auraient été pires qu'un voyage en enfer. Je suis le seul passager et je m'aperçois bien que l'équipage n'est pas habitué à avoir un étranger à bord. Il a fallu que j'argumente, négocie et paye un e fortune au Second pour pouvoir embarquer mais cela en valait la peine; je ne regrette rien. 

Je ne mange pas avec l'équipage. Le second m'apporte à manger. Je ne pense pas que cela soit l'usage sur ce genre de navire. Sans doute un arrangement avec le capitaine. Pour je ne sais quelle raison, ce dernier ne souhaite pas me voir côtoyer l'équipage. Le second m'a plus ou moins expliqué qu'à bord existait un équilibre fragile qu'il valait mieux ne pas perturber. Suivant ses conseils, j'essaie de me faire le plus discret possible. Je ne croise donc pratiquement personne d'autre que le second. J'ai dû rencontrer deux fois le capitaine en une semaine. C'est un homme d'une cinquantaine d'année, bourru et taciturne; l'image qu'on peut se faire d'un capitaine au long cours. Il est toujours impeccablement mis, la pipe aux lèvres et une voix de stentor. Sa barbe pourrait rendre jaloux maints patriarches bibliques! Nonobstant, il est une figure paternelle rassurante surtout si on est perdu en plein milieu d'un océan. 

Par la force des chose, je ne parle que très peu car mes seuls interlocuteurs sont le second, Thomas Hoyt et un mousse prénommé simplement Sol. Si monsieur Hoyt n'est pas très dissert, Sol l'est pour deux!  Cet enfant vient me porter ma pitance quotidienne lorsque le second est pris par ses obligations. C'est un plaisir de voir arriver Sol. En deux minutes, je sais tout ce qu'il s'est passé sur l'Etoile du Sud depuis son dernier passage! Tout ce qui s'y est dit et pensé! Les querelles entre les marins, les chapardages, les rumeurs, l'état du vaisseau et le temps qu'il fera demain, tout y passe! Sol est une source de inépuisable de renseignements. 

Là où la Terre rencontre le CielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant