Chapitre 17

9 2 0
                                    

31 Octobre 1862, Pacifique Sud. 

J'ai lu et relu la lettre de Thomas mille et mille fois, à m'en user les yeux. J'avais envie de chanter, de pleurer et de crier en même temps! Les affres que je connaissais, il les savait aussi et il m'aime! J'avais envie de hurler son prénom, de lui dire combien j'avais envie de lui, combien j'avais besoin de lui! Il faut que je trouve un prétexte pour lui parler, lui dire ce que je ressens. 

Quelques instants dans ses bras! Ma vie pour quelques minutes avec lui! Mon monde jusqu'ici si étriqué s'est ouvert dans tes yeux et tout devient possible, difficile et dangereux. Je m'en fiche! Comment? Comment peux-tu imaginer que tu n'as été qu'une passade , un amusement? Comment peux-tu penser que je pourrai t'oublier dès que nous serons à terre? Non, Thomas, je ne peux t'oublier et je ne pense qu'à toi. Moi aussi, dans notre folie, je cherche en vain une solution pour nous! J'échafaude des plans où la folie se mesure à l'aune de mon amour pour toi! Je retourne la question, notre question à chaque instant tout en essayant d'éviter de te suivre des yeux, de te chercher partout où je me trouve. Je suis dans un enfer et pourtant, comme toi, je suis au paradis car je te sais si proche et si loin. Qu'avons-nous fait pour mériter cela? 

Voilà, tous ces mots, ces phrases, je les ai écrites pour déchirer ensuite le papier et jeter les bribes de cette lettre par la lucarne de la coquerie. Je sais qu'il est dangereux pour nous de les écrire!  Mon journal même est un véritable danger mais je ne peux me résoudre à le jeter en mer. Je sais qu'il peut nous trahir . Je me suis convaincu de le détruire à notre arrivée. 

2 Novembre 1862, L'Etoile du Sud. 

Nous approchons peu à peu de Sydney, de l'Australie. Je ne sais pas si j'arrive à m'en réjouir ou à maudire ce jour prochain. 

Hier, Sol m'a demandé si je n'avais pas un message pour Thomas. Il sait. Je ne sais pas comment mais il sait. Son regard n'avait rien de méchant, rien qui puisse m'alarmer. Il semblait même plutôt heureux de savoir ce qui nous liait Thomas et moi. Je ne sais qu'en penser et ai fait mine de m'étonner. 

- Non, pourquoi? 

- Pour rien. Ca me plait de transmettre des messages, a-t-il répondu. Ca a que'que chose de... j'sais pas... comme si on était proche des personnes qui s'écrivent mais qu'on reste en dehors... vous voyez?

- ... de la connivence, tu veux dire? 

- Je connais pas ce mot mais si ça veut dire ça alors oui. De la connivence, répéta-t-il tout bas. 

- Sais-tu lire, Sol ? lui demandai-je, connaissant déjà la réponse. 

- Ben m'sieur, vous savez bien que non!

- Tu voudrais apprendre? 

- Oh oui! M'sieur... quand j'étais p'tit, j'ai appris à écrire mon nom mais ça sert pas beaucoup sur le bateau, ajouta-t-il avec une moue. 

- Oui, mais un jour, tu seras capitaine de ton propre bateau et il te faudra savoir lire, écrire et compter. 

- Vous moquez pas d'moi, m'sieur! Un mousse, ça d'vient jamais capitaine!

- Parce qu'ils n'apprennent jamais à lire et à écrire... et qui sait ce que l'avenir nous réserve, Sol! Le monde est tellement vaste et il peut se passer tellement de choses dans une vie! Il faut saisir sa chance lorsqu'elle se présente à toi. 

- Vous pensez vraiment ça? 

- Bien sûr! Je peux t'apprendre un peu si tu veux. Il faudra beaucoup plus de temps que les quelques jours de voyage qui nous restent cependant. J'ai bien peur qu'après mon départ, tu ne puisses plus apprendre. 

Là où la Terre rencontre le CielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant