II

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Heureusement, l'obscurité cacha l'angoisse qui devait tirer le visage de Blondin. Un couinement de joie retentit du côté de Chauvette. Sa robe trouée voleta contre sa joue, il la vit s'extirper de leur cachette. Lui, il attendit. Il était peut-être encore temps de faire marche arrière. De la convaincre de rester un peu plus ici, là où personne ne crierait en la voyant, là où personne ne voudrait la menacer avec ce qu'il avait sous la main.

A son tour, il rejoignit la rue noire.

— Je vais l'appeler Doux-doux.

Elle serra la peluche dans le creux de son coude. Leurs mains se joignirent ; l'une serrée, l'autre fripée, toutes deux osseuses.

— C'est un joli nom, se sentit-il obligé de répondre.

Le chemin qu'il choisit fut long, tortueux, mais aussi calme. Les rues mortes n'accordaient pas grande importance aux visiteurs, pourvu qu'ils ne portent pas d'habits propres, de sacs, ou de chaussures. Chauvette, malgré sa faiblesse, se dandinait sur ses pieds en chantonnant. Lui pinçait les lèvres, les yeux sur chaque ombre. Même dans le noir, sa sœur ne passait pas inaperçue. Mais il n'osait pas lui demander de rester discrète. S'il avait dû lui enlever une once de joie, il ne se le serait pas pardonné.

Rue après rue, le soleil perçait le nuage. Les murs grisâtres des maisons empilées prenaient doucement des couleurs : un blanc sale, des éclaboussures, des coulures. Le sol gagnait en relief, on voyait les flaques d'eau croupie, les creux qui faisaient trébucher. Ils ne croisèrent personne, les rues, du sol au plafond, étaient vides.

Chauvette sautillait. Le monstre lui souriait de sa bouche toute en rondeur.

— Il est heureux, se réjouit-elle.

— Il est comme toi, on dirait. Il est heureux quand il voit le soleil.

Le crâne tordu de sa sœur se comprima contre la tête de la peluche. Le tissu mou recouvrit son front ridé, elle ferma les yeux, comme si elle communiquait avec Doux-doux par la pensée.

— Merci, Blondin, répéta-t-elle.

Il sentit comme une petite chaleur dans son ventre.

— C'était pas...

Des hommes, devant.

Sa main comprima celle de Chauvette. D'un geste, il la tira contre un mur délabré, manqua de les faire tomber tous les deux.

Chauvette étouffa un cri.

— Que-qu'est-ce que tu...

— Attends.

Il fixait les silhouettes noires, devant, dans la lumière d'une intersection. L'ombre des robes l'interpella ; autant de tissu, cela ne venait pas d'ici.

Des doigts rachitiques serraient les siens.

— C'est qui ? souffla Chauvette.

Blondin les recula tous deux dans l'ombre du mur. A cette distance, il avait du mal à répondre à sa sœur. Les robes étaient si longues qu'elles touchaient le sol. Les manches pendaient au moins jusqu'à leurs genoux. Une large capuche blanche et verte plongeait leurs visages dans l'obscurité.

Brodés sur leurs robes, des losanges dorés brillaient dans la lumière.

— Je crois savoir, finit-il par souffler. J'ai entendu des gens en parler dans la fosse.

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