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Le courant septentrional.

Cette information rejaillissait comme si elle datait d'une autre époque. Il fallait être certain. Rama voulut connaître la direction du vent ; impossible. Au bord du vide, ses cheveux courts volaient dans un sens si chaotique qu'il se serait cru de nouveau au milieu des lumières de la flaque. Les boucles noires du Grand n'étaient pas en meilleur état. Elles battaient son crâne, se dressaient dans sa nuque, toujours plus fort à mesure qu'il s'approchait du rebord de l'île.

Le voleur marchait vers ces tours lointaines, perdues dans la brume du ciel.

— On peut pas y aller ! cria Rama en le voyant dangereusement avancer. Il faut voler !

A peine prononça-t-il le mot, les ailes du Grand se levèrent au-dessus de ses épaules. Rama crut devenir fou, le voir faire lui retournait les plumes. Pourtant, le voleur aussi avait les ailes rompues.

Le Grand n'était qu'à quelques battements du vide. Ses grandes plumes salies s'ébrouèrent. Il allait vraiment le faire, réalisa Rama. Foudroyé par la prise de conscience, il se jeta en avant, ignora sa douleur, bondit sur le nuage frais en se mordant les lèvres. Parvenu dans le dos du voleur, il rassembla toutes les forces qu'il n'avait plus, et s'élança vers ses épaules.

Les ailes cassées hurlèrent leur mécontentement. Tout son corps lui intimait de ne pas recommencer, mais Rama ne l'écoutait pas. Jambes et bras repliés, il s'attelait à gravir le dos du Grand, pour se percher entre ses ailes.

Juste à temps. Le Grand fit un pas de trop en avant. Le sol se déroba sous eux, ils chutèrent.

Un cri suraigu fendit l'air autour de Rama. L'air sifflait plus à ses oreilles qu'au bord du vide. Le vent tirait sa chemise trop grande en arrière, battait dans ses lèvres, arrachait ses yeux en larmes, coupait sa respiration.

Un battement les stabilisa bien plus bas. Rama ne perdit pas son temps à réfléchir, il serra ses bras autour du cou du Grand. Ses membres tremblaient si fort qu'ils sautaient sur les haillons. Le vide illuminé de doré s'étalait sous leurs pieds à perte de vue, même Terremeda sembla apparaître, lointaine, biscornue, scintillante.

Rama voulut crier de nouveau. A la place, il ferma solidement les yeux, enfonça son visage dans son bras.

Chaque seconde de vol durait une éternité. Rama ne releva pas les yeux un instant. Le vent avait enfin un semblant de logique, il les poussait dans le dos, droit vers cette brume et ces tours, qui devaient grandir, grandir...

Quand des voix s'invitèrent dans le vent, là, il osa un regard.

L'île était grande. Très grande, plus grande qu'il ne le pensait. Des remparts d'En-Bas, elle semblait aussi large que le quartier des Poulies au Cœur Noir. Mais face à elle, à ses torrents de fumées qui se déversaient des hautes bouches de métal, à ses maisons empilées, face à ces rues noires, ces toiles de couleur, ces paniers, ces passerelles sur le vide, cet immense monstre de pierre qui déployait ses tours dans les méandres, il comprit qu'il y avait une chose, dans ce monde, qu'il avait mal évaluée.

Le Grand posa pied sur un pont de bois sale et humide, au milieu des batailles et des cris. Sitôt glissa-t-il son regard vide sur les hordes de personnes en habits noirs, les combats semblèrent s'apaiser. Rama réalisa que le voleur retrouvait ses hommes. Peut-être rester à ses côtés devenait-il un gage de survie. Descendu maladroitement au sol, Rama le saisit par la main, et le tira en avant.

Les MiraculésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant