IV

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Dans sa cachette entre les caisses des Poulies, il régnait comme un sentiment de déjà-vu. Blondin essayait de ne pas y penser. La structure du nuage grinçait dans le noir, éclairée de ci de là par des flambeaux. Le joli coffre remonté au matin était toujours là, les gamins, les soldats aussi. Tout ce qui manquait était le soleil, et ce petit quelque chose dans le cœur de Blondin, dont la disparition creusait un gouffre plus profond que le vide de Terremeda.

Blondin essayait de ne pas y penser.

Il n'aurait pas imaginé que cet objet puisse avoir toute son attention. Cela l'étonnait lui-même qu'il ne quitte pas le coffre des yeux, qu'il calcule les distances, observe les personnes, les objets susceptibles d'interférer. Sa main se serra sur le misérable bris de verre, qu'il avait échangé contre son foulard. Plusieurs fois, il pensa que le moment était venu. Mais lorsqu'il avançait le pied sur le plancher, sa jambe se mettait à trembler, son esprit divaguait, et il se rétractait.

Peut-être était-ce à cause du temps qui filait. Mais il ne fallait pas y penser. L'armée avait déjà fait preuve de bêtise, en pensant qu'attendre le soir serait plus sûr pour traverser l'En-Bas avec le coffre. Ou peut-être s'inquiétait-il de ces gamins, terrés derrière les caisses tout comme lui, qui n'étaient pas les mêmes que ce matin.

Blondin les avait vite reconnus. Des capuches noires sur les visages, moins de rires dans l'air, les mains vides de frondes, mais, sous les tuniques, des objets autrement plus interdits par la Couronne.

Forcément, il fallait bien que les hommes du Grand entendent parler de ce coffre. Mais Blondin ne devait pas y penser. Que pourrait-il faire, qui l'empêcherait de mener son plan à bien ? Blondin sentit son cœur se serrer. Il ne devait surtout, surtout pas y penser.

Les gamins du Grand firent grincer une planche.

— Qu'est-ce que c'est ? sursauta un soldat.

Plastrons et bâtons se déployèrent autour du coffre. Blondin rentra un peu plus le menton dans sa poitrine glacée. Des échardes eurent tout le loisir de se loger dans son dos collé contre les caisses, le temps que les soldats tournent en direction des gamins, qui plus que jamais, se taisaient.

Il ne restait plus qu'un soldat près du coffre.

— C'était rien, soupira un homme en relevant un panier retourné. Gardez l'œil ouvert.

Les autres murmurèrent un mot qui ressemblait à « anormal ». Blondin se serait sans doute longtemps interrogé sur son sens, si les soldats n'étaient pas précisément en train de prendre la position qu'il ne souhaitait pas.

Certains commençaient à sceller le coffre avec une corde. Les autres étaient encore en mouvement. Blondin avait peu de temps pour agir, il se leva en brûlant son dos contre le bois, plongea la main dans une caisse, pour saisir le premier écrou venu. De toutes les forces qu'il n'avait pas, il le lança dans la direction des gamins.

Le rebond métallique résonna mollement dans le faux-silence. Mais les armes sautèrent dans les mains.

— Qui est là ? gronda un soldat.

Les gamins du Grand s'agitaient. S'ils prenaient la fuite, ils se feraient repérer. Certains avaient vu Blondin lancer l'écrou. Il le savait, mais il n'avait plus rien à perdre.

— Montrez-vous !

Les sandales militaires avançaient doucement vers les caisses extérieures. Blondin se voûtait plus que jamais, bris de verre serré, dos en feu, jambes prêtes à bondir.

Les MiraculésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant