Il tenait les rebords du parchemin pincés, bras levés de part et d'autre de ses épaules. Ses doigts ne tremblaient pas, ses jambes non plus. Ses yeux fixaient ces autres, plus froids que la nuit, malgré les reflets des dizaines de chandeliers qui dansaient dans ses iris.
Le roi était adossé au centre des baldaquins du lit. Sa longue main tenait encore la page qu'il s'apprêtait à tourner. Blondin attendait. Sa Majesté ne disait rien. Le regard incisif n'était pas pour lui, cette fois, mais pour le plan qu'il tenait.
Blondin avait gratté le papier durant de longues heures. Il avait maudit cette plume, qui crissait pour un oui pour un non, puis avait perdu patience face à l'embouchure du pot-à-encre, trop étroite pour qu'il puisse y tremper les doigts. Sa Majesté s'était plainte du bruit. Blondin n'avait rien fait pour y remédier. Il avait gratté, encore, jusqu'à ce que le ciel soit aussi noir que les formes qu'il dessinait.
Sa Majesté détaillait chaque recoin du plan. Puis il leva les yeux.
— Ce charabia donnerait une migraine à un aveugle.
Blondin soutint son regard sans répondre. Il s'apprêtait à rester ainsi des heures, à défendre silencieusement sa conviction. Mais les yeux de glace se détournèrent de lui et de son plan. Sa Majesté replongeait entre ses pages.
— Comment t'appelles-tu ?
Une question de pure curiosité. Blondin haussa les sourcils.
— Blondin.
— Blondin ? se figea le roi. Qu'est-ce que c'est que ça, ce n'est pas un prénom.
C'était pourtant comme cela qu'on l'appelait. L'homme reprit sa lecture, croisa les jambes, enveloppées dans une toile si blanche qu'elle en semblait surnaturelle.
— Savais-tu que les Terremediens, eux aussi, ont des dieux ?
Deuxième question. Blondin voulut répondre sans perdre de temps à réfléchir ; raté. Jusqu'à présent, la seule chose que Sa Majesté avait voulu savoir de lui, c'était comment il était parvenu En-Haut.
Heureusement, le roi ne semblait pas attendre de réponse.
— Ils ont des panthéons entiers de divinités, murmura-t-il en tournant les pages. Parfois des familles, sur plusieurs générations. Ce livre en répertorie certaines. Il vient des Archives de l'Intemporel.
Les pages filèrent encore entre ses doigts. Dans ce silence, les fins bruissements du papier auraient pu s'entendre jusqu'au bureau couvert de livres. Les yeux de ciel glissèrent d'une phrase à l'autre, puis soudain, l'homme appuya son index sur le parchemin.
L'épais ouvrage monta sous son nez en pointe.
— Rama, lut-il. Tu t'appelleras Rama.
Sans un mot de plus, il reprit sa lecture. Blondin baissa ses bras engourdis, roula le plan sans provoquer de réaction. Aux yeux du roi, on aurait dit qu'il s'était transformé en meuble.
Alors, il se rendit à son bureau, et dessina, pensa, calcula. Ses pensées allaient bien plus vite que cette plume lente et maladroite. Les lettres se transformaient en symboles approximatifs, les phrases en schémas. Une heure après aux aiguilles, il dut s'endormir, car quand il ouvrit les yeux, sa joue était étalée sur un parchemin dégoulinant de salive.
Les bougies s'étaient éteintes. Une armure était apparue à côté de la porte. Il dessina, pensa, calcula encore. Au petit matin, Sa Majesté glissa dans son dos, une drôle de coupe à anse à la main. Les parchemins raturés de Blondin durent passer sous ses yeux, mais presque rien n'aurait pu être compris par quelqu'un d'autre que lui.
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Les Miraculés
ParanormalPRÉQUEL DE L'ANGEVERT ♢ Terré dans sa cachette au fond de l'En-Bas, Blondin le sait : sa sœur va mourir. Une maladie la tue à petit feu, sans que personne ne puisse la guérir. Mais ces drôles de gens en capuches sont d'un autre avis. Il existerait...