XIX

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Des lumières dansaient par milliers. Des formes, des voiles, des rayons. Le monde ondulait, disparaissait, rejaillissait. Le ciel nocturne se parait des lueurs du couchant, de celles de l'aurore. C'était le jour, c'était la nuit, c'était un temps qui n'existait pas.

Il fixait le ciel à s'en brûler les yeux. A moins que ce ne soit le sol. Son esprit embrumé se troublait face au miroir parfait sous ses pieds. Le reflet aurait pu être lui, il aurait pu être le reflet, peut-être était-il les deux à la fois. Le ciel se dédoublait, le noir était couleurs, l'obscurité était clarté. Des éléments se déchainaient autour de lui, une tempête faisait rage, silencieuse et immobile.

Il voulait agir. Mais un vide immense avait remplacé ses pensées, empli de toutes les danses. Son regard se figea sur la vive volée de lumières noires, puis sur ce grand drapé qui illumina les ciels de méandres, puis sur cette brume qui clarifia l'horizon de volutes. Que faisait-il là, parvint-il à se demander. était sans doute déjà trop précis. Il sentait cette impression de rien, il pensait n'être nulle part.

Qui était-il, alors. Ses mains, lentement, cessèrent de comprimer ses épaules. Un visage lui apparaissait dans les lumières, une tête ronde, sans cheveux, le temps marqué dans ses traits.

— Chau... vette.

Le silence faisait un tel vacarme qu'il ne s'entendit pas. A peine tenta-t-il de se questionner, un second visage remplaça le premier. Des boucles noires, un regard mauvais.

Une longue silhouette était debout dans la nuit, sur le miroir, loin en face de lui.

Quelques images revinrent. Le Grand, l'Angevert, sa promesse. Frêle sur le miroir, il leva un pied avec l'impression de s'arracher à des racines millénaires. Sa plante nue s'aplatit sur le ciel en feu, il leva l'autre pied.

Chaque mouvement était contre nature. Il voulait arrêter, se fondre, s'oublier, tandis que son esprit divaguait avec les lumières. Il voyait sans percevoir, il entendait ce silence, qui faisait toujours un bruit monstrueux. Mais le visage de Chauvette s'ancrait plus profondément dans son esprit à chaque pas. Il plantait son regard dans le sien, un peu plus, encore un peu, il s'y accrochait avec une force viscérale.

Il ne sut dire pourquoi, il savait qu'elle était là, avec lui. Sa volonté fleurit doucement dans le néant. Il allait la guérir. Il voulait la guérir. Elle guérirait.

Au bout d'un moment aussi court que long, il saisit le Grand par sa manche effilée. Le voleur ne réagit pas au contact. Loin dans les lumières, sa tête noire fixait les remous du ciel sans ciller. Son visage était couvert de griffures. Du sang s'égouttait sous ses ongles, tombaient sur le miroir, pour disparaître sous la surface.

« Pars. »

C'était sa sœur qui lui parlait.

« Pars. »

Les lumières dansaient plus vite. La nuit l'éblouissait, le silence l'assourdissait. Un vent violent le figea, le monde se renversa en le bloquant à sa place. Il ne sentait plus sa main sur le poignet du Grand. Il ne sentait plus ses jambes, tendues sur le miroir comme un étrange arbre à deux cimes blondes.

« Pars ! »

Sa sœur ? Ou lui ? La voix hurlait avec tant de force qu'elle anima son corps. Ses pas reprirent. Sa main resta comprimée sur le bras amorphe, il le tira avec lui.

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