A l'autre bout de la pièce, l'armure, des reflets de flammes sur la cuirasse, posa la main sur son épée.
— Retourne t'asseoir.
Les jambes de Blondin avançaient sur le sol lisse, ankylosées. La voix derrière le métal, il essaya de l'ignorer. C'était celle de l'homme qui avait failli l'étouffer.
— Morveux, retourne t'asseoir, gronda-t-il.
— Monsieur l'armure, j'avance plus sur mon plan. J'ai des questions, mais Sa Majesté est pas là. Peut-être que toi tu peux répondre.
Blondin s'arrêta au centre de la pièce. En face, la main se desserra légèrement de l'arme.
Gagné.
— Un des livres parle d'une grande puissance confiée aux mortels, continua Blondin d'un ton monocorde. Qu'est-ce que c'est ?
— Encore un livre de l'Ordre, marmonna l'autre. Ils parlent de l'Angevert.
— Dans ce cas, est-ce que je peux voir l'Angevert ?
L'armure se fendit d'un rire en écho.
— Tu remarques beaucoup de choses, morveux. Mais tu ne sembles pas réaliser à quel point cette gamine est protégée.
— Comment ça ?
— L'Ordre, l'armée, la royauté, même le peuple, pour peu qu'il croie à ces bêtises de religion. Tout le monde a une main tendue vers elle.
L'homme semblait plus amer, peut-être parce que Blondin restait parfaitement immobile. Il réfléchissait. Quelqu'un qui convoitait ce nourrisson aurait tout intérêt à prendre ses distances une fois mis la main dessus. Il commença à comprendre pourquoi Sa Majesté était dans la chambre cette nuit-là, pourquoi il avait été si intéressé qu'il lui parle d'Utopie. Cette île, pour ce que Blondin en savait, était plutôt autonome. La terre d'asile parfaite pour un fuyard, beaucoup de gens d'En-Bas s'étaient d'ailleurs lancés dans le voyage.
Ses poings serrèrent de nouveau la chemise. S'il avait su, il aurait fomenté ce plan de fuite pour lui et Chauvette. De plus, s'il ne se trompait pas, il avait un concurrent de taille.
— La puissance de l'Angevert, fit-il à mi-voix, qu'est-ce qu'elle peut faire ?
— Je ne suis pas sûr que cette réponse te soit utile pour tes plans, releva l'autre à raison.
— Nos adversaires la possèdent peut-être.
Il se tut avant de trop en dire. L'idée sembla tourner dans la tête de l'armure, tête imbécile.
— L'Angevert maîtrise le temps, confia-t-il finalement. Sa magie peut arrêter une montre de tourner ou réduire un homme en cendre. Elle remonte le développement des maladies, elle soigne, elle rallonge la vie.
La respiration de Blondin se coupa.
— Mais pourquoi est-ce que les gens ne peuvent pas tous l'avoir ? articula-t-il sans réfléchir.
— Parce que certains ont beaucoup de pouvoir dans cet ordre du monde, cracha soudain l'armure. Ils éloignent les autres de l'Angevert pour mieux asseoir leur domination.
Blondin esquissa un pas en arrière. L'homme s'agitait, les flammes dansèrent de plus belle sur le métal.
Un ordre du monde, se répétait-il. Eloigner les autres de l'Angevert. Blondin pensa à sa rue, où il faisait toujours nuit, puis à ce sommet, où brillaient les lumières du ciel et celles du château, où les pages du savoir coulaient à flot. Blondin ne regardait plus l'armure. Il se regardait lui, déformé par les courbures du métal argenté. Il revit son regard plongé sur le verre de la fenêtre close, à observer les lueurs jaillir dans la chambre. Puis les flambeaux de la salle à la flaque reparurent, il entendit son aveu au Roi, de vouloir l'Angevert pour sa sœur. « Nous voilà un point commun. » avait-il répondu.
Qu'avait-il caché à Blondin ?
— Sa Majesté veut changer l'ordre du monde ? murmura-t-il. Il veut que tout le monde puisse voir l'Angevert ?
— ... Tu lui poseras toi-même la question, morveux.
Blondin ne perdit pas son temps à insister. Sous des airs d'exaspération, beaucoup de choses en l'armure criaient « oui ».
Ses talons se tournèrent. Il partit vers la table rainurée.
— Enfin sage, railla l'autre.
— Est-ce que le pouvoir de l'Angevert peut détruire une chaîne ? se contenta-t-il de répondre.
— Mais par les cieux, bien sûr qu'il le peut !
Blondin gravit son fauteuil. Il poussa les cartes, les instruments, le livre qu'il était en train de déchiffrer. La feuille aux symboles, seule, demeura à ses côtés.
Face au parchemin vierge, il prit la plume dans sa main.
— Alors, chuchota-t-il, Utopie est à nous.
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Les Miraculés
ParanormalPRÉQUEL DE L'ANGEVERT ♢ Terré dans sa cachette au fond de l'En-Bas, Blondin le sait : sa sœur va mourir. Une maladie la tue à petit feu, sans que personne ne puisse la guérir. Mais ces drôles de gens en capuches sont d'un autre avis. Il existerait...