— Lave-toi.
La voix de l'homme résonna, autoritaire, sans chercher la moindre discrétion. Cela rassura Blondin, il s'autorisa à respirer normalement.
— Dépêche-toi.
Blondin l'ignora. Il ne le regardait pas. Il ne regardait pas non plus la grande, grande pièce. Des tables dorées, entre des colonnes de pierre, portaient de douces étoffes, des carafes harmonieuses, de grands plats.
Il y avait des fruits dans les plats.
L'homme faisait claquer sa langue avec impatience. Blondin sentait qu'il était comme lui, qu'il réfléchissait. Il finirait par comprendre.
— Mange donc, s'agaça la voix, acerbe. Et parle au lieu de me faire perdre mon temps. Personne ne nous entend ici.
Blondin se rua sur les tables plus vite qu'il ne se l'aurait cru capable. Ses mains s'enfoncèrent dans les grappes de raisin, tirèrent des poignées de grains de grenade. Il croqua dans les pommes vertes, rouges, les agrumes, avala tout rond des sphères acidulées dont il ignorait le nom.
Près de la porte, un rire léger accompagna son repas.
— Pathétique, perçut-il.
La bouche pleine, il se riva sur l'homme. Mais la témérité gagnée par son ventre rempli s'envola aussi vite qu'elle était arrivée. Cet étranger d'En-Haut le dévisageait comme il l'avait fait avant d'ordonner sa mort, avec un dédain plus glaçant que le vent de nuit. Il n'était pas plus haut que le Grand. Il n'était pas plus épais que le vendeur à qui il volait des graines. Mais il y avait quelque chose, au fond de son regard, qui le descendait plus bas qu'En-Bas, qui le réduisait à la taille d'une poussière.
Blondin avala bruyamment son raisin. L'homme, en silence, considéra un instant son regard fixe, avant de le toiser de nouveau de la tête aux pieds.
— Lave-toi, s'exaspéra-t-il.
Les mains de Blondin s'extirpèrent des plats vidés de moitié. Il observa la salle, les grands coussins colorés aux broderies dorées, les étoffes épaisses abandonnées sur le sol, cette grande flaque ronde dont l'eau ne se troublait plus.
Après une courte hésitation, il s'avança vers la flaque.
A chaque pas, l'eau semblait plus noire. Blondin arrêta ses pieds à son rebord. Au milieu d'une tâche sombre, un visage d'enfant lui renvoyait ses grands yeux perplexes, une armée d'épis blonds façonnés par la sueur sur la tête. Blondin vit ses sourcils épars se plisser. Sa sœur lui ressemblait bien plus qu'il ne pensait s'en rappeler.
Sans trop savoir comment la chose fonctionnait, Blondin lança un pied sur la flaque.
Mais soudain, le monde bascula. Incapable de revenir en arrière, Blondin se sentit chuter en avant, tandis qu'une sensation tiède s'emparait de son corps.
Un bourdonnement étrange envahit ses oreilles. Il n'arrivait plus à respirer. Battant des bras et des jambes, il monta en panique vers la lumière devenue floue, avant que sa tête n'émerge à grand bruit au milieu d'éclaboussures. Ses mains se cramponnèrent au rebord. La respiration en feu, il cracha et cracha ses poumons sur les dalles. Sa nourriture durement gagnée voulait à nouveau le quitter.
— Et tu me promets Utopie ?
Blondin releva la tête, des gouttes dans les yeux. Une jambe repliée contre la porte, bras croisés sur les fioritures de son col, l'homme le fixait tellement qu'il ne semblait pas remarquer les mèches blanches qui s'étaient échappées de ses épaules, pour onduler devant lui.
Son regard avait l'air aussi déçu que sévère.
— Tu m'as l'air d'un incapable, doublé d'un bon manipulateur, murmura l'homme avec calme.
— Vous... pouvez avoir Utopie.
Cet homme devint la première personne qu'il se forçait réellement à vouvoyer. Blondin soutint l'incrédulité de son interlocuteur, se racla une nouvelle fois la gorge, en s'extirpant à grand peine de l'eau.
— Il faut juste savoir ce qui peut vous empêcher et le contrer. Je-je trouve toujours des solutions.
Certes, des solutions, il y en avait sûrement. Mais cette fois, si ce plan venait à exister, Blondin ne serait pas celui qui tenterait d'approcher ce qu'il ne pouvait pas obtenir. Il laisserait cet homme se brûler les plumes tout seul, lui, il avait bien assez à faire comme cela. Les yeux sur son pantalon détrempé, il s'obligea vite à changer ses pensées. L'autre, au bout de la salle, donnait l'impression de chercher ce qu'il taisait.
— Pourquoi être venu auprès de l'Angevert ? demanda soudain l'homme.
La sérénité ne se mariait pas avec cet étrange fond de rivalité que Blondin sentit chez lui. Il piétina dans la flaque brune qui se déversait de ses vêtements. Rien ne l'incitait à être sincère, mais cette tension finirait sans doute par grandir chez l'homme s'il décelait son mensonge.
— Pour ma sœur, marmonna Blondin à regret.
L'homme écarquilla les yeux. Dans la lumière chaude, le bleu prit des teintes de ciel au couchant.
— Eh bien, souffla-t-il. Nous voici un point commun.
Quelques rebonds firent vibrer la porte. Blondin se figea dans sa flaque. Pieds glissants, vision humide, ventre instable, il n'eut ni le temps de fuir ni de se cacher. L'homme entrouvrait déjà un battant.
— Un uniforme de nouvelle recrue, annonça-t-on derrière le bois.
— Bien.
L'homme aux cheveux blancs claqua la porte sans rien ajouter. Blondin, tremblant, essayait de reconnaître l'autre voix malgré la distance et les échos. Il s'interrompit. L'étranger n'avait plus les mains vides.
D'un pas calme, il avançait vers lui. Ses yeux se fondaient toujours sur son visage, durs, fixes, imperturbables. Mais tandis qu'il s'approchait, Blondin crut y lire quelque chose de nouveau.
Deux chausses luisantes s'arrêtèrent face à ses pieds trempés.
— Habille-toi.
Il lui colla un paquetage souple sur la poitrine. Absorbé par ce visage tiré, plusieurs têtes au-dessus de la sienne, Blondin mit quelques secondes avant de lever les mains, pour se saisir des vêtements.
— Qui êtes-vous ? s'entendit-il demander.
L'instant aurait pu paraître dangereux. L'homme n'avait pas donné l'air d'accepter les questions. Mais Blondin soutint son regard silencieux, tranchant, à la fois si proche, et toujours si haut.
Finalement, l'homme lâcha les vêtements.
— Appelle-moi Votre Majesté.
Royal, il s'éloigna.
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Les Miraculés
ParanormalPRÉQUEL DE L'ANGEVERT ♢ Terré dans sa cachette au fond de l'En-Bas, Blondin le sait : sa sœur va mourir. Une maladie la tue à petit feu, sans que personne ne puisse la guérir. Mais ces drôles de gens en capuches sont d'un autre avis. Il existerait...