VI

51 11 10
                                    



Derrière la porte, au bout d'une longue allée de dalles claires, au sommet d'une immense porte blanche, d'arcades blanches, de balcons et fenêtres blancs, s'élevaient les tours les plus hautes que Blondin ait jamais vues. Longues et pointues, leurs toits culminaient si haut qu'il devait tordre la tête pour les observer. La silhouette de la bâtisse palissait sous la lueur d'une lune ronde derrière elle.

Absorbé par les lumières des fenêtres, les pieds de Blondin le portèrent en avant. Il ne comprenait pas comment les tours pouvaient tenir ainsi, sans percer le toit de leur caverne. Les maisons En-Bas avaient beau s'empiler, elles se faisaient toujours arrêter par les rues au-dessus d'elles. 

Mais ce plafond-ci était étrange. De lointaines lumières y clignotaient, immensément nombreuses, comme si quelqu'un avait laissé échapper une trainée de paillettes. 

Le ciel. Ce soir-là, Blondin réalisa qu'il ne s'arrêtait pas à la petite ouverture des remparts de l'En-Bas. Son ombre décoiffée trembla sur l'allée de dalles ; la grande porte, les tours et les étoiles avaient de quoi lui donner le vertige. Le ciel s'étalait jusque derrière les toits pointus, continuait dans le dos de la grande maison qu'il quittait – un amas de toits blancs et bombés à la pierre taillée. La nuit semblait s'étendre où qu'il pose le regard, même à la lisière de cette vaste étendue plate qui l'entourait. Des remparts cerclaient, dans le lointain, un sol de courtes tiges souples à l'odeur de frais, qui tanguait sous le vent en bordure de l'allée. De la lumière, du mouvement, de l'air. Rien ici n'était comme la nuit. Tout respirait. On se sentait léger.

Blondin se promit de montrer ce paysage à Chauvette.

Le grand château blanc ne donnait pas très envie de s'en approcher. Mais plus Blondin l'observait, plus il sentait naître en lui une petite intuition. En jaugeant la dangerosité de la manœuvre, Blondin se sentit vite pincer les lèvres, alors que les centaines de fenêtres semblaient se braquer sur lui. Il trouva préférable de quitter l'allée claire, pour se fondre dans l'obscurité du sol-à-tiges. 

Son premier pas sur ce nouveau parterre fut hésitant. Le second plus confiant. Après quelques enjambées maladroites, il reconnut le toucher doux et mou des plantes. Lorsqu'il soufflait, le vent les agitait, et des milliers de petites pattes chatouillaient les pieds de Blondin. 

Les bras croisés sur son torse, il avança doucement, en se demandant s'il ne foulait pas de la nourriture. Goûter un brin lui fit reconsidérer son hypothèse.

La marche avait promis d'être longue. Mais quand elles parvinrent enfin aux abords du château, les jambes de Blondin le laissèrent tomber contre les sculptures de la paroi. La tête contre une arabesque, il inspira, malaxa ses cuisses, et leva les yeux. Un nuage de fumée s'éleva de sa bouche vers les rebords des fenêtres, des colonnes, des premières arches. Il s'évapora bien avant d'atteindre les hautes tours qui plongeaient Blondin dans leur ombre.

Un tremblement courut dans le dos de Blondin. Il se força à se ressaisir, et arpenta du regard les fenêtres basses. De ce côté, il n'y avait plus aucune lumière derrière les carreaux. Les mécanismes étaient-ils faciles à crocheter ? Blondin n'avait aucun matériel pour le faire. Allait-il réussir à se servir de ses ailes ? Il se voyait plutôt s'effondrer de fatigue.

Chauvette. Elle l'attendait. Avec une grimace, Blondin décolla son dos de la pierre. Tous ses os grinçaient de fatigue, le froid commençait à l'engourdir. Regard figé sur les sculptures, il jaugea les distances jusqu'aux fenêtres les plus proches. L'une d'elle serait plus facile à atteindre, avec des sculptures proéminentes pour se rattraper s'il tombait. Une autre était entrouverte, mais son rebord semblait plus étroit. 

Les MiraculésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant