Immortal

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Il observait, de loin. Les voyait tous, heureux, émus, de se retrouver. Il voyait dans leurs yeux la surprise de ce cadeaux, l'étonnement de cette résurrection, marquant la fin des Guerres Saintes.
Chacun gérait cette nouvelle à sa façon, mais il le voyait bien. Derrière ces sourires, ces accolades, se cachaient des blessures profondes. Si profondes qu'elles mettront beaucoup de temps à cicatriser. Peut être même qu'elles ne le seront jamais complètement. Des traumatismes de l'entraînement, des combats... Ou même des pertes de compagnons. Mais en ce moment, chacun avait décidé de ne pas y penser. D'aller au delà de cela, de sourire à cette nouvelle vie, d'avancer, de profiter jusqu'à ce que la mort vienne les récupérer d'une autre façon que par la violence.

Il serra les poings.

Oh non, ce n'était pas de la jalousie. Il en était persuadé. Plutôt de l'envie. Vouloir ressentir tout ça, lui aussi. Vouloir pouvoir vivre comme il le voulait, jusqu'à ce que la mort l'emporte, et l'emmène devant le jugement dernier. Ce n'était pas l'envie qui lui manquait, non.

Mais sa loyauté lui empêchait tous manquements de ce genre là.

Il ne s'en voulait pas d'être au service des Enfers, non, loin de là. Malgré cela, il lui arrivait de vouloir tout laisser tomber. De lâcher prise. De se concentrer sur ses blessures, plus vieilles encore que certains Chevaliers, afin de les guérir. De se concentrer sur lui, pour ne plus ressentir tous ces sentiments le submergeant à chaque résurrection. Honneur. Fierté. Peine. Tristesse. Mélancolie. Oui, il lui arrivait de vouloir sombrer à son tour dans un sommeil sans fin, alors qu'il est un des Juges des âmes. Il lui arrivait de vouloir tout laisser tomber, de ne plus vouloir se battre constamment contre un mal existant depuis des milliers d'années, qu'il n'avait jamais réussi à guérir.

Les blessures physiques avaient beau disparaître à chaque nouveau corps, son âme, elle, restait la même. Brisée. Remplie de noirceur.

Après tout, malgré son immortalité, n'avait-il pas le droit de souffler ? N'avait il pas mérité un repos ? Pour se reconstruire. Pour oublier toutes ces futilités, qui le faisaient pourtant souffrir bien plus que raison.

La perte de compagnon, cela faisait des millénaires qu'il l'expérimentait. La douleur de voir son Dieu, sombrer petit à petit dans la folie, cela faisait bien des siècles qu'il la ressentait. La tristesse, de le voir mourir à chaque fin de Guerre Sainte, faisait désormais entièrement partie de lui.

Alors oui, il lui arrivait de vouloir sombrer. Mais il ne peut pas se le permettre. Il se doit de rester fort. Pour son Dieu. Pour ses frères. Pour ses Spectres. Quitte à s'oublier. Quitte à vouloir, de plus en plus, à chaque nouvelle vie, partir. Sans pour autant ne jamais le faire.

Il devait faire son devoir. Juger. Aujourd'hui... Mais aussi les siècles suivants. Et ceux d'après encore. Et encore. Et à jamais.

Il lui arrivait de rêver. De cette vie la, qu'il ne pourra jamais obtenir. Il en vint même à, parfois, mais ce sont des fois de trop, penser qu'il a fait le mauvais choix. Penser qu'il aurait dû refuser cette proposition. L'immortalité.

Proposée au simple mortel qu'il était, évidemment qu'il avait accepté. Mais avait-il réellement conscience de ce que cela impliquait ?

Vivre pour toujours. Toujours. Toujours. Voir le monde changer, les humains, tout, absolument tout. Tout change. Sauf son monde à lui.

Lundi, jugement.
Mardi, jugement.
Mercredi, jugement.
Jeudi, jugement.
Vendredi, jugement.
Samedi, jugement.
Dimanche, guerre.

Et cela pendant des semaines. Des mois. Des années. Des décennies, des siècles et des millénaires. Sans jamais changer.

Qui peut souhaiter d'une éternité telle que celle ci ? Ou l'imprévu n'existe pas. Où tout est bien règlé, à la seconde près. Où, tous les 200 ans, ils se réveillent et se battent. Pour ensuite travailler. Pour que 200 ans tout pile après, ils se rebattent à nouveau. Pour encore perdre.

L'imprévu, la surprise, l'étonnement n'existent plus. Non pas qu'il soit intéressé par tout cela. Mais il doit avouer que même sans adorer ceci, leur absence rend ses vies bien fades.

Sans intérêt.

Alors oui, il enviait ces Chevaliers. Ces mêmes qui l'ont tué. Face à cette résurrection, c'est toute leur vie qui est chamboulée. Cette nouvelle vie est une surprise. Pour lui, c'est simplement du temps en plus pour sombrer. Leur vie à venir est encore pleine de rebondissements. La sienne se résumera a la même qu'avant : travailler, travailler, jusqu'à se détruire. Ils ont décidé de prendre cette chance avec le sourire. Cela fait des siècles qu'il prend la sienne par obligation. Malgré le fait qu'il adore son Dieu. Malgré le fait qu'il aime son travail. Cela était plus fort que lui, et il se maudit chaque jour d'avoir de telles pensées.

Donc oui, il les enviait. Car un jour, ils fermeront les yeux. Pour ne plus jamais les ouvrir. Mais lui... Il aura beau fermer les yeux... Il finira toujours par les rouvrir.

OS- MangaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant