L'éveil d'Eileen

Prologue

Complètement déboussolée, la petite fille courait à toute vitesse dans les rues blanches de son village. La neve tombait du ciel, et ses mouvements affolés faisaient s'envoler la poudreuse autour d'elle. Elle se retrouvait si vulnérable face au mépris de ses voisins et amis de toujours que ses larmes mouillaient ses joues maquillées.

— Eilônn ! Qu'est-ce qui t'arrive ? Qu'est-ce que tu fais dans cette tenue ? lui demanda son ami, déconcerté.

— Je... je... Malôn, c'est affreux !

Alors qu'il découvrait les sanglots de son ami, Malôn accouru à sa rencontre, mais fut stoppé net par une voix dédaigneuse :

— Ne t'approche pas, malheureux !

L'un de leurs instructeurs au maquillage prononcé venait de l'attraper au vol. Il fut projeté contre son torse et entouré de ses deux bras, dans un geste à la fois protecteur et autoritaire.

— Mais... lâchez-moi ! se plaignit-il.

Du haut de ses dix ans, Eilônn assistait à cette scène, le cœur au bord des lèvres, le visage dégoulinant de couleurs turquoise et magenta. Depuis qu'elle avait découvert ce qui lui arrivait, elle ne souhaitait qu'une chose, le réconfort de son ami de toujours ; pourtant cela aussi, on le lui vola sous ses yeux d'enfant.

— Cesse donc de te débattre ! Je fais ça pour ton bien ! Cette personne n'est plus ton ami !

Sur un ton rauque, dégoûté, l'instructeur vomit presque ces trois mots :

— C'est une fille !

Et voilà, c'était dit. Le cœur d'Eilônn manqua un battement, son souffle aussi se coupa. Jamais plus elle n'oublierait le regard vitreux et choqué de Malôn qui la dévisageait. Il fut peiné et sans doute se sentit-il trahi par celle-ci. Mais elle ignorait aussi son origine jusqu'à ce jour ! Elle voulait le lui crier, le supplier de l'écouter, de la croire, mais sa voix mourut dans sa gorge. A la place, elle assista aux propos méprisants de son aîné, impuissante.

— Valônn et Kirshôn nous ont bien manipulés ! Dire qu'ils veulent la garder en vie !

— Mais... Eilônn ! s'égosilla Malôn.

— Ne t'avise plus de l'appeler ainsi ! le sermonna l'herma. Cette fille ne mérite plus de porter l'un de nos prénoms !

— Attendez... balbutia Malôn, encore sous le choc, incapable de ne pas fixer Eilônn.

Il essaya de se dégager, mais l'enseignant le tira avec force par le bras. Leur amitié fut scellée à cet instant précis. Eilônn devint Eileen. D'hermaphrodite elle devint femme, et plus jamais sa vie ne serait comme avant.