Chapitre 1

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Chapitre 1

Eileen cheminait le long d'une route sinueuse, les yeux perdus dans les étoiles scintillantes. Elles n'étaient qu'au nombre de trois, mais bientôt la quatrième et dernière de sa constellation apparaîtrait et prendrait la forme d'un losange, dans l'obscurité du ciel. C'était ainsi que son peuple calculait les années qui s'écoulaient. Lorsque les quatre étoiles étaient réunies, on comptait une année osangus. Puis, quand elles disparaissaient, cela annonçait le renouvellement du cycle. Le premier astre à jaillir brillait d'une couleur blanche, il précédait le début de la saison de l'eau. Le second, de sa teinte argent, annonçait la saison de l'air, puis le feu et la glace, rouge et bleu. Jamais ce phénomène ne s'était interrompu. Il était immuable.

Tantôt, Eileen aurait dix-sept années osangus et même si on l'y avait préparée depuis l'enfance, elle ne pouvait s'empêcher de redouter ce jour. Pourquoi ne pouvait-elle être comme ses contemporains ? Elle avait pourtant été fécondée par des géniteurs hermaphrodites ; à la fois mâles et femelles. Ils possédaient donc la capacité d'échanger leur semence pour donner naissance à une progéniture. Elle avait la chance de les connaître car ils s'entendaient bien et avaient choisi de former ce qu'on appelle une « famille », mais c'était rare. La plupart de ses anciens amis étaient élevés par une seule personne, ou par des instructeurs dans des centres d'enseignement.

Eileen s'était déjà sentie seule, c'est vrai. Mais, ce soir, elle éprouvait ce pénible sentiment d'une façon démesurée. Elle le savait au fond d'elle et personne ne le lui avait caché depuis ses dix ans, car c'était impossible à cacher. La semence femelle avait été plus forte lors de sa conception, chose qui n'arrivait presque jamais, et c'est ainsi qu'elle s'était révélée appartenir au peuple maâlin. Sa poitrine ainsi que ses organes génitaux avaient commencé à se former lors de la période d'incubusum qui durait sept ans. Depuis cette époque, elle avait cessé de porter ces tuniques fades qui couvraient le torse plat et les cuisses de ses contemporains. Elle était différente et elle devait le montrer. Le regard de ses voisins avait changé, certains la dévisageaient avec indifférence et les autres la toisaient avec froideur. Elle ne supportait plus leur mépris.

Pourtant, le plus difficile pour elle fut de ressentir son propre dégoût de soi. Lorsque ses parents lui avaient expliqué les raisons de cette étrange transformation et ce qui l'attendait, elle n'avait pu retenir sa peine et sa peur. A cet instant précis, son cœur s'était emballé, car il avait déjà compris qu'elle était condamnée. Ils n'avaient cessé de lui répéter que bien au contraire, elle avait de la chance, car elle pourrait connaître des sentiments plus intenses que ceux des hermas. Mais ce n'était qu'à condition qu'elle trouve son symbiote. Et ça, c'était une autre paire de manches.

Son destin allait bientôt prendre un tournant qu'elle ne pouvait contrôler. L'étoile n'allait pas tarder à apparaître et son organisme d'enfant allait officiellement se transformer en celui d'adulte femme.

Et si elle ne trouvait pas son kohana, elle serait vouée à... mourir... Était-ce là l'unique sens de sa misérable vie ? Elle tomba à genoux, les yeux larmoyants et implora les astres :

— Ayez pitié ! Épargnez-moi une vie de douleur, je vous en supplie !

Elle se replia sur elle-même, le regard toujours plongé dans l'étendue céleste et laissa s'écouler sa tristesse. La poudreuse s'envola, le vent passa sur son visage balayant ses cheveux azur qui tombaient sur ses épaules pour descendre jusqu'à ses hanches.

Elle referma ses bras autour d'elle et frotta sa peau pâle et translucide, scintillant comme du verre. Même si cette couleur était dénuée de chaleur, elle n'avait pas froid, seule son âme gelait à mesure que le temps passait. Ses lèvres fluettes tremblaient sous l'émotion. Quant à son maquillage, il coulait à cause de ses larmes. Les dessins géométriques qui entouraient ses yeux et parsemaient ses joues n'étaient plus qu'un mélange coloré de magenta et de turquoise.

L'éveil d'EileenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant