Eileen était installée à table devant une assiette beaucoup trop copieuse pour elle. Les trois hermas s'étaient révélés être les amis d'Hérick pour sa plus grande surprise. Sans toucher à son assiette, elle ne cessait de les observer comme s'ils étaient des bêtes étranges pourtant ils se montraient drôles, avenants et respectueux de leurs différences. Pourquoi ?
Même Oksana gardait ses distances avec eux. Visiblement, elle ne les connaissait pas non plus. Toutes deux se montraient particulièrement mal à l'aise contrairement à Hérick. Comment avait-il pu devenir si familier avec ces hermas ?
Rôn, celui qui avait le maquillage multicolore s'était rapproché d'elle et l'observait comme si elle était une œuvre d'une extrême rareté. Ce que, pour lui, elle était dans le fond. Accoudé à la table, il avait posé le menton dans la paume de sa main et son visage affichait un sourire charmé. Il l'avait déjà adopté, c'était évident. Ce regard tout comme celui de Christôn et Carlôn qui s'évertuaient à rester discrets, eux, la troublait davantage.
— De vraies maâlins juste devant nous, wahou !
Elle opina en avalant une bouchée de cette mixture blanchâtre en guise de purée. Sa sœur n'était définitivement pas la meilleure cuisinière du monde.
— Tu viens d'où ? insista l'herma près d'elle.
Elle lança un coup d'œil à Oksana qui lui répondit d'un haussement d'épaules.
— Du village d'hermas à l'est de la forêt, répondit-elle d'une toute petite voix.
— Pourquoi tu es partie ?
A son tour d'esquisser un geste peu parlant en guise de réponse. Se pourrait-il qu'il comprenne la notion d'espoir ? Elle en douta. Aussi elle préféra garder le silence.
— Tu as mal ?
— Rôn ! Laisse-la respirer, ok ? s'énerva son ami Christôn, aux cheveux verts.
Il tapa du poing sur la table et aussitôt Eileen trembla en reculant sa chaise. Hérick envoya une tape à l'arrière du crâne de son ami.
— C'est toi qui l'effraies, idiot ! Ne crie pas comme ça !
Christôn se renfrogna. Comme Rôn et Eileen reprenaient une conversation plus calme et posée, il poursuivit son repas, non sans écouter avec beaucoup d'attention, la discussion des deux autres.
— Ne t'inquiète pas ! On n'est pas comme les autres hermas. On est gentils, nous ! Enfin, je crois... murmura-t-il, à la fin.
Hérick ricana de la bêtise de Rôn. Malgré sa candeur, il lui arrivait de mettre les pieds dans le plat, comme tout le monde.
— Je confirme, Eileen ! Je ne les aurais jamais fait venir si ça n'avait pas été le cas. Tu peux me faire confiance.
Il attrapa la main de sa symbiote et la caressa du pouce. Ils échangèrent un regard empli de douceur et Eileen fut rassurée. S'ils étaient en danger, Oksana et Hérick n'auraient jamais permis que ces trois personnages les retrouvent.
— Alors ! C'était comment d'être prisonnière d'un nitudila ? demanda Rôn, toujours aussi curieux.
Eileen fronça les sourcils tandis qu'Hérick et Oksana levaient les yeux au ciel.
— Dégoûtant et... terrifiant, finit-elle par affirmer.
— T'as vu leur grosse langue pleine de dents et de sang ?
— Tu es en train de lui couper l'appétit, Rôn ! le coupa Christôn.
— Et le mien, ajouta Carlôn.
— Oups !
Il rit de sa maladresse, mais ne s'en formalisa pas.
— Tu ne parles pas beaucoup, dis-donc...
— Désolé... Je... ne sais pas trop quoi dire.
— Raconte-nous quelque chose sur toi. Tu es un vrai mystère pour nous !
— Rôn, c'est vraiment pas délicat comme question ! s'agaça Christôn.
— Bah quoi ? C'est vrai ! Tous les livres à leurs sujets ont été censurés ! C'est la première fois que j'en vois ! On ne sait plus rien des maâlins, ici. Franchement, tu pensais qu'il pouvait y en avoir encore en vie, toi ?
Hérick lui fit les gros yeux. Eileen tressauta.
— Mais... Hérick n'est pas un maâlin ? demanda-t-elle en faisant des allers retours entre eux.
Oksana se tapa la main sur le front. Apparemment Rôn venait de commettre une autre bêtise, mais Eileen ne comprenait pas quoi. Même si c'était vrai, pourquoi étaient-ils tous au courant et pas elle ?
Aussitôt, Rôn réalisa sa maladresse. Il s'empressa de rectifier :
— Non, non ! C'est pas ce que je voulais dire ! C'est juste qu'on en avait jamais vu avant... des femelles je parle... mais en fait...
— Laisse tomber, Rôn ! Tu t'enfonces, le coupa Hérick.
— Oups ! Désolé...
***
Depuis qu'elles débarrassaient la table, Eileen ne cessait d'harceler sa jumelle.
— Pourquoi vous me cachez la vérité ? Qu'est-ce qui se passe ici ? Je ne comprends rien ! Oksana ! S'il te plaît, réponds-moi, enfin !
— Eileen ! Ça n'a rien à voir avec toi ! Cela concerne Hérick et il est très pudique de ses sentiments, tu sais ! Il ne se sent pas prêt à en parler à la terre entière. Même ses amis ne sont pas au courant de tous les détails !
— N'importe quoi ! Ils avaient clairement l'air d'en savoir beaucoup à son sujet tout à l'heure !
— Non, pas du tout ! Ils savent juste qu'il n'est ni un maâlin ni un herma. Tout comme toi, maintenant !
— Quoi ? Il n'est ni l'un ni l'autre ? Mais c'est pas possible ! Il n'existe pas de troisième genre quand même !
— Pourtant si ! Ils sont encore plus rares que nous, vois-tu !
— Oh la la, c'est dingue !
— Mais comment ça se fait qu'il connaisse ces trois hermas, alors ?
— C'est une longue histoire ! En gros, on l'a confondu avec un herma pendant longtemps, même lui, d'ailleurs !
— Et il est quoi alors ?
— Arrête ça suffit ! J'en ai déjà trop dit ! Troek ! Tu es vraiment douée pour cuisiner les gens toi !
— Ça nous fera au moins une différence ! répondit Eileen, d'un haussement d'épaule.
— Hein ? De quoi tu parles ?
— La cuisine ! lâcha-t-elle dans une moue.
Oksana fronça les sourcils.
— Tu... n'aimes pas ce que j'ai préparé à manger ? la questionna-t-elle, vexée.
— Ne le prends pas mal, mais je préfèrerais m'en occuper la prochaine fois !
Sur ce, elle lui tourna le dos et s'éloigna, laissant le soin à sa sœur de digérer l'information.
— Fais gaffe, Eileen, la rappela-t-elle, ça dépend de moi que tu souffres moins, hein ? Tu ne devrais pas te mettre à dos la seule personne qui peut t'aider !
Eileen claqua la porte. Son caractère commençait à se révéler à mesure qu'elle passait du temps avec sa jumelle. Il se montrait plus mauvais quand il n'était pas caché derrière ses couches de souffrances. Les deux sœurs débutaient enfin une relation fraternelle digne des contes qu'elles avaient lues : chamailleries et amitié. Oksana qui attendait ce moment depuis si longtemps en fut ravie.
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L'éveil d'Eileen
ФэнтезиQuand trouver l'amour est votre seule chance de survie... Dans un monde dirigé par un peuple hermaphrodite, où aimer est une notion anormale et répugnante, survivre est un véritable défi pour les maâlins de naissance. Ces êtres ne ressemblent en rie...