Chapitre 3

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Chapitre 3

Au petit matin, la lueur du jour vint chatouiller le visage crispé d'Eileen. Elle ouvrit un œil et aperçut Valônn qui dormait, la tête posée contre leurs mains jointes. Il avait finalement réussi à entrer pour aider sa fille. Oui, ce n'était plus sa progéniture, son enfant ou que sais-je... C'était sa fille et il en avait maintenant pleinement conscience.

Eileen s'étira et sentit dans chaque parcelle de sa peau, du bout de ses orteils jusqu'à l'extrémité de ses doigts, cette sensation éprouvante qui la cisaillait. C'était comme si des centaines de milliers d'aiguilles piquaient son corps tendu. Elle rejeta les couvertures et caressa les mèches blanches qui tombaient sur le front de son parent.

Elle réfléchit à la manière de réagir, maintenant qu'elle était femme. Une idée germa dans son esprit. En vérité, cela faisait quelques semaines qu'elle y pensait et cette décision fut la plus difficile à prendre. Elle savait que la princesse guerrière de la légende Solhè avait refusé de se réfugier dans la forêt d'Akalandra. Elle avait, au contraire, fouillé tous les villages pour trouver son kohana, sans y parvenir. Eileen savait que les maâlins des derniers siècles s'étaient réfugiés dans la forêt et personne ne sut s'ils y avaient trouvé la mort ou l'amour. Peu importe, cela valait la peine qu'elle essaie, car ce n'était pas dans un village qu'elle trouverait son kohana. S'ils n'avaient pas eu la chance d'avoir des parents comme elle, ils avaient sûrement été mis à mort à leur dixième année osangus. Sous bien des aspects, cette société se montrait affreuse et atroce envers les êtres différents.

Eileen avait eu beaucoup de chance que Valônn et Kirshôn aient uni leurs forces pour la protéger de ses voisins. Elle sourit en pensant qu'ici, dans cette maison de cristallite, en compagnie de ces deux personnes formidables, on l'avait acceptée telle qu'elle était. Certes, elle n'avait jamais reçu d'amour à proprement parler, mais ne pas être lynchée sous son propre toit était déjà assez extraordinaire à l'époque où ils vivaient. Cependant, ça ne serait pas suffisant pour l'avenir, elle le savait... Elle devait trouver quelqu'un qui lui ressemble et qui la comprenne pleinement. Malgré tout, même si elle espérait vivre, elle se fit la promesse de ne jamais fusionner avec quelqu'un qui ne serait pas fondamentalement bon. Elle préférait périr, que de souffrir aux côtés de la mauvaise personne, car c'était là le même sort qui lui serait réservé si elle choisissait n'importe qui.

— Valônn, chuchota-t-elle, le cœur en lambeaux.

Elle savait que si elle restait vivre avec eux, ses parents finiraient par être des maudits. Pour le moment, leur réputation d'anciens magistrats leur avait permis de se démarquer sans trop se faire insulter. Mais cette haine silencieuse finirait par éclater au grand jour. Leurs amis leur tourneraient le dos, ils perdraient leurs responsabilités, peut-être même leurs biens, et tout ça, à cause d'elle. Ils avaient une place de choix dans leur société. Valônn était un éducateur pour les jeunes hermas dans les établissements spécialisés. Il aimait s'occuper des autres et former les adultes de demain. Il espérait transmettre des valeurs nouvelles, mais ses efforts n'étaient qu'une goutte d'eau dans l'océan. De son côté, Kirshôn s'occupait de la presse et faisait l'intermédiaire entre les nouvelles venant de la capitale et celle du village.

Eileen avait donc bien conscience que sur le long terme, leur travail pâtirait de leurs idées révolutionnaires au sujet des maâlins et la garder chez eux détruirait tout ce qu'ils avaient construit. Elle avait toujours su qu'il lui faudrait partir lorsque ce jour arriverait, mais cette idée l'angoissait d'autant plus. Se retrouver seule la terrifiait, mais attrister ses précieux et fidèles compagnons encore plus. Elle murmura d'une voix aussi douce que possible :

— J'espère que tu me pardonneras...

Elle se leva et prépara son sac en toute discrétion, récupérant vêtements et nourriture. Elle s'habilla de cette même tenue légère et refit son maquillage. Elle choisit des couleurs argent et turquoise pour peindre ses yeux et son nez, masquant le haut de son visage. Elle traça ensuite une ligne noire démarrant du coin de son œil et qui se finissait à l'extrémité de sa paupière en formant une boucle. Elle termina le tout en dessinant des rosaces magenta sur ses joues. Elle avait choisi des matières premières semi-permanentes, afin que cette fois-ci, il ne s'efface pas dès qu'elle verserait une larme.

L'éveil d'EileenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant