Depuis très longtemps, tu es présent dans mon firmament. Depuis très longtemps, je veux t’ignorer parce que ton éclat affirme les contours de mes ombres. Depuis trop longtemps, certains de tes mots se répercutent contre les parois de ma grotte. Leurs échos me rendent dingue ! Ils sont pourtant ma bouée quand j’ai l’impression de me noyer. Ou alors ce sont des ancres ? Qui, dans la tempête, vont faire sombrer ma barque ?
Devant le plafond. Penché au-dessus de moi. Avec ces yeux qui prenaient la couleur de l'orage. Ton visage sérieux. Ou peut-être taquin. Satisfait par l'effet produit sur moi. Ton parfum tout autour de moi. Tes mains accrochées de façon possessive à mes hanches. Pendant ces moments-là, j’avais moins peur. J’avais moins de doutes, moins de vexations. Moins de questions sans réponse, moins de silences pesants. J’avais une raison d’exister. Mon cœur, une raison de continuer à battre. Le destin voulait remplacer le hasard, l'amour prenait la place de la chimie. Peut-être. Pendant ces instants-là, quand tu fermais les yeux, j’avais l’impression que tu ne voyais que moi.
Devant le plafond. Penché au-dessus de moi. Tes traits que je connaissais par cœur, rendus un peu flous par ma myopie. Et par la vague qui commençait à m’emporter. Ta voix qui me faisait obéir. « Jouis, mon amour. » Et j'obéissais.
Ces mirages ont hanté mes périodes les plus difficiles. Leurs souvenirs ont scarifié ces moments que je cherchais à oublier, pour pouvoir continuer dans les illusions, les faux-semblants. Je n’ai pas été éduqué pour m’accepter, pour jouir des instants de vie, pour tracer ma propre route, pour être fier du chemin accompli. Je suis formé à obéir, à me nier, à prendre les chemins connus, à continuer de récolter des félicitations creuses et accumuler des lauriers fanés. À rendre hommage aux morts, en oubliant que je suis vivant. À être reconnaissant, pendant qu'on m'enfonce de force dans ma cage. À sortir mon armure pour affronter le quotidien, pendant qu'on me reproche d’être effacé. Je m'effaçais, tout simplement.
Alors j'ai abandonné la guerre pour mieux gagner ma bataille. J’ai laissé la gloire à ceux qui la voulaient. Tête baissée, j'ai cru pouvoir m'en sortir. Pouvoir vivre l'instant, loin des projecteurs. Rester dans mon enclos confortable pendant que les moutons vont dans le pâturage toujours plus vert d'à-côté. Inconnu, médiocre, je me suis amusé. En espérant ne pas penser aux lendemains. Ma nature triste et anxieuse est revenue sonner les minutes de mon avenir gris. J'ai continué à nier. Ton arrivée a ébloui mon existence. Je pense en avoir gardé des séquelles rétiniennes. Dans cet aveuglement, j’ai cru pouvoir réclamer le bonheur. J'ai été trop ambitieux. Ou pas assez. Car les doutes sont revenus alourdir cet avenir avec toi, auquel je ne pouvais croire.
Alors je t'ai réclamé des choses non-pertinentes, mon soleil. Parce que je ne savais pas comment te dire ce qui était important pour moi. De quelle façon le dire. Le reprocher, l'ironiser. En public. Le crier, le hurler, le pleurer. En cachette. Et sans cesse, la honte, la peur, qui accrochaient leurs filaments poisseux sur moi.
Alors, même avec toutes ces paroles et ces écrits échangés, ces fluides partagés, ces heures envolées contre toi, je ne t’ai jamais dit à quel point je t'aimais. Je t'ai répété les mots. Pas leur définition. Je t'aimais à la folie. Littéralement. Je ne t’ai jamais expliqué pourquoi je fuyais. J’avais peur de t'aimer à en mourir. Vraiment. Pendant ces années avec toi, j’avais l’impression de m’effacer de plus en plus, pour devenir une personne qu'on aurait accepté. C’était ce que je voulais, pourtant. Du moins, le moi du passé le croyait. Ma foi n’était pas assez fervente. Mon sacrifice pas assez complet. Mon abandon pas assez total. Au lieu de te dire à quel point je t’aimais, je t’ai démontré à quel point tu ne m’aimais pas. Je n’ai même pas réussi à me faire abandonner totalement. Pathétique.
Alors laisse-moi te le dire maintenant. Et tu n'as pas d’autre choix, mon soleil, que de me laisser faire, puisque tu n'es plus là… Je t’aimais à en crever. Je t'aimais tellement que j'en avais mal. Physiquement. Mon cœur ne battait que contre ta poitrine. Mon corps ne se mouvait que dans tes bras. Je me sentais vivant à chacun de tes souffles. Je mourais pendant chacune de tes absences. J’avais mal d'être heureux. J’étais content de souffrir. Je ne comprenais pas ce que j’expérimentais. J’avais peur, j'avais honte. Je n’étais plus moi-même. Tu avais pris possession d'une partie de moi. Et j’avais accepté de feindre être la personne aimée. Du moins, je pensais m’être persuadé de ce point.
Mon inconscient s'est révolté. Mon instinct a dicté ma méchanceté, ma mesquinerie. Je suis fâché que tu aies rendu les coups au lieu de m’obliger à expliquer. Je suis triste de t’avoir fait souffrir au lieu de t’expliquer. Nous étions trop jeunes. J'étais beaucoup trop immature. Même maintenant, je crains de l’être encore. J’ai eu peur de trop d’amour. J’étais vexé de trop peu de démonstration. En retenant moi-même mes paroles et mes gestes. Quelle pression constante et épuisante ! Je comprends maintenant. Je pense comprendre maintenant. Le parallèle de notre situation, la similitude de nos actions, la différence de nos réactions.
Mon soleil, nous nous en sommes bien sortis finalement. S’éloigner l’un de l’autre était la chose la plus saine à faire, à l’époque, avec nos circonstances. Je regrette la manière, non le résultat. Peut-être un jour, pourrai-je te croiser sans ces fantômes dans mon sillage. Pour le moment, il est préférable de ne pas te chercher. De toute façon, on n’évite pas indéfiniment le soleil.
Je t’ai aimé plus que de raison, je t’ai détesté moins que moi-même, je t’ai ignoré plus que nécessaire. Un jour, peut-être, je te dirai tout ça. Un jour, peut-être, tu accepteras l’argumentaire autant que les déclarations. Alors ce jour-là, nous pourrons nous sourire sans les hypocrisies des derniers mois, il y a quinze ans. Et mon connard de cerveau arrêtera d’assimiler un moment intime du passé avec tes yeux souriants. Ils t'appartiendront à nouveau.
J'ai un peu honte que mon cerveau soit un voleur d'images. Je n’ai pas beaucoup de contrôle sur lui, il part souvent en roue libre. Certainement ses représailles contre moi, le manque de sommeil que je lui inflige, le rythme de travail que je lui impose en parallèle des doses immodérées d’alcool. Et aussi ces excuses foireuses. Alors il se souvient en boucle des bouffées d’hormones que je voulais bien lui consentir, quand j’étais avec toi. Nous nous épuisons mutuellement, lui et moi. C’est très inefficace.
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Chat-pitre 2
RandomParce que le précédent rantbook aura bientôt un an, et que ses 200 chapitres ont presque tous été utilisés ; parce que je rends hommage à cet animal décalé qu'était mon chat ; parce que les stats semblent indiquer que ma vie suscite plus de lectures...