Chapitre 3

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L'atmosphère d'un bal de débutantes étouffait Matthew pourtant rodé aux mondanités. Il trouvait de manière générale le milieu guindé de la haute aristocratie aussi insupportable qu'un corset. Mais pour un prêtre venant de la campagne tel que Théophile, tout était sujet à émerveillement.

Les splendides robes de taffetas et de soie aux couleurs flamboyantes, les coiffures élégantes mêlant plumes et perles, les costumes de ces dandies corsetés à la coupe fine comme celle des moustaches de ces messieurs. Sans parler des imposants candélabres éclairant les boiseries exotiques et des statues taillées en d'obscures pierres d'obsidienne au charme enténébré. Le regard du français s'accrochait à tout ce qui constituait ce décorum bien connu du dandy l'accompagnant et son sourire s'accentuait au fil de ses découvertes.

— Vous n'avez jamais assisté à un bal de débutantes ? demanda Matthew.

— Non, c'est la pre-première fois que je me rends dans un...

Le dandy brûlait de finir la phrase du français, mais se retint en mordant une nouvelle fois sa lèvre inférieure. Théophile, aussi doux, semblait-il, pourrait le prendre mal.

— Un endroit aussi fa-faste-eux ! Cette de-demeure appartient à une seule famille ?

L'anglais ne put s'empêcher de rire doucement.

— Les Hawkesbury possèdent cet hôtel particulier, c'est leur pied à terre dans la capitale... si nous devons résumer cela en quelques mots.

— C'est ma-magnifique, tout cela est... si... stupéfiant.

Les grands yeux écarquillés du prêtre avaient quelque chose de rafraîchissant, indéniablement. Cela éveillait la curiosité du baronnet.

— Dites-m'en plus sur votre famille, d'où viennent les Anselme ?

— Oh... euh... nous venons de.. d'un petit vi-village de Normandie.

La rougeur affluait à nouveau le long de ses joues ambrées qu'il ne cherchait même pas à masquer avec de la poudre. Sa peau abimée par le soleil, ses mains rugueuses et l'état de sa tenue, un tel négligé changeait de tout ce petit monde d'apparence où frayait le dandy.

— La Normandie, cela sonne si bien à l'oreille. Dites-moi, pourquoi avez-vous quitté votre petit coin de Paradis ?

Si cet étrange endroit en était, à dire vrai, Matthew n'aurait su le situer sur une carte. En revanche, il remarqua immédiatement le trouble qui agitait le vicaire. Ce dernier finit par baisser la tête, ses mains se serraient l'une contre l'autre.

— Ma ta-tante a des pro-problèmes de santé, elle a a-a-accepté de m'aider à m'in-installer en tant que vi-vicaire. Ainsi, je... je peux veiller sur elle et bi-bien sûr, sur ma cou-cousine, réussit-il à prononcer, à bout de souffle.

Matthew se demanda pourquoi il s'embêtait avec d'aussi longues phrases.

— C'est très gentil de vous occuper ainsi de votre famille. Et puisque vous êtes bon samaritain, que diriez-vous de m'offrir votre première danse ?

La surprise se lisait dans les prunelles du français. Matthew n'en eut cure. Il franchit la distance les séparant en tendant sa main gantée de dentelle noire. Le baronnet ne s'inquiétait plus d'être découvert grâce à l'éclairage tamisé des candélabres. Et puis, ses manières féminines que lui reprochait tant son grand-père suffiraient à abuser de la crédulité du français.

Comme le français tardait à répondre, Matthew prit peur de se voir refuser si rapidement. Les cordes pincées des violons émirent un chant plaintif épousant sa frustration.

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