Accoudé sur la marquise où il s'était installé, sa robe ramenée près de lui, Matthew écoutait d'une oreille Théophile d'Anselme qui s'évertuait à énumérer les innombrables œuvres de charité. Malheureusement, ce dernier, tout à ses explications, ne remarquait même pas toutes les œillades du dandy.
S'il se délectait de cette vue ravissante que lui offrait le français, sa litanie criblée d'hésitation le lassait.
— Choisissez pour moi mon père, je suis certain que vous avez une assez bonne idée de ce qu'il convient de faire, n'est-ce pas ?
Théophile se mordilla la lèvre avant qu'une petite lueur s'allumât dans ses prunelles.
— Les o-orphelins seraient un bon dé-début...
— Parfait, nous donnerons au Foundling Hospital ! décréta Matthew d'un ton un peu trop vif à son goût.
L'heure tardive les contraignit à convenir d'un autre rendez-vous. Le baronnet multiplia les excuses pour renouveler ces rencontres, prétextant des détails à régler, une solitude à combler.
C'est ainsi qu'un après-midi, il convoqua le prêtre chez lui.
La préparation de ces retrouvailles avait exigé un grand travail de rangement et de décoration de son appartement pour le dépouiller de son atmosphère poisseuse d'éternel célibataire. Pour le féminiser un peu, il l'avait constellé de bouquets fleuris, remplacé les statues grecques d'hommes dénudés par des tableaux plus consensuels. Il subsistait encore quelques détails douteux, comme des gravures osées dans la chambre, mais si le prêtre s'y rendait, cela signifiait que le pari était gagné.
La raison de cette urgence ? Un cœur inconsolable !
— Qu'y... qu'y a-t-il ? demanda le vicaire en arrivant, son souffle produisant des volutes de brume blanche dans la nuit froide londonienne.
Rien que de l'imaginer se précipiter dans un cab, ce dernier fendant l'obscurité pour parvenir jusqu'ici, le bout du nez et les pommettes roses, Matthew sentit ses commissures se relever à l'unisson. Il chassa un mouvement son valet qui venait d'ouvrir la porte d'entrée et s'approcha du prêtre.
— C'est idiot... commença-t-il en se tamponnant la joue avec un mouchoir, j'ai voulu ranger et je suis tombée sur une malle...
Il laissa volontiers les secondes s'égrainer, comme s'il cherchait ses mots, rassemblait ses pensées, alors qu'il avait précisément répété sa mascarade devant l'immense miroir de sa salle d'eau.
— J'avais oublié que j'y ai mis les affaires de mon...
Matthew s'interrompit pour émettre un sanglot ou deux, avant de se moucher. Le visage contrit du vicaire l'informait de la réussite de son plan.
— Mon époux... mon cher et défunt époux... j'ignorais... je ne pensais souffrir encore...
— C'est... c'est normal... perdre que-quelqu'un d'aussi pro-proche, d'aussi ch-cher, adoucit le français en prenant son bras pour l'entrainer vers une méridienne.
Ses grands yeux verts se posèrent sur le dandy, sans jugement, sans impatience, sans méfiance. Matthew sentit son coeur battre plus vite, sous l'effet de l'effort, nul doute. Toute cette comédie, ce maquillage qu'il avait fait couler, ces heures dans le miroir à répéter, ces jupons si lourds à porter. Il tapota doucement le velours pour inviter le français à s'assoir à ses côtés. Ce dernier hésita, mordillant sa lèvre inférieure, regardant en direction de la porte où le valet avait disparu.
— Venez près de moi, s'il vous plaît. Votre présence m'apaise, insista Matthew.
Le prêtre céda et prit place à ses côtés.
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Bad Romance
Любовные романыMatthew de Beaufort, dernier du titre en Angleterre du moins, écarte toutes les promises que lui envoie sa tante. Il préfère festoyer, parcourir les bas-fonds londoniens en compagnie de ses amis, presque aussi terribles que lui. Leur jeu ? S'adonner...