Aimer.
Qu'est-ce que cela veut dire ?
Pour certains, c'est construire une relation ensemble, faire grandir un sentiment basé sur de petits riens, sur des mots doux échangés, sur des tendresses renouvelées, sur des instants volés.
Pour d'autres, c'est des cœurs se brisant, des cris et des larmes, pour eux, l'amour s'écrit dans la violence et la passion, l'amour est un déchirement permanent.
Le plus terrible au fond, c'est lorsqu'il n'est point partagé ou pire encore, impossible.
Que nous reste-t-il alors, si ce n'est la mort ?
Elle peut être littérale, dans le sang et un ultime cri déchirant poussé vers le ciel peu clément.
Mais elle peut être aussi lente et silencieuse, se constituer dans une monstrueuse agonie, ou le vide abyssal d'un cœur destiné à aimer qui finit par se remplir d'amertume, de regrets et de déception.
Je vous en prie, mon père, sauvez-moi.
Le mot ne fut jamais envoyé, mais un délicat ami le déposa en main propre à celle tremblante d'un homme dédié à l'Église. Cette vocation ne lui était venue spontanément, mais née d'une promesse faite par un couple désespéré de n'avoir d'enfant. Théophile avait grandi dans une famille simple, noble certes, mais pauvre. Il savait sa vie dédiée à Dieu et n'avait jamais osé, ne serait-ce soupçonner, espérer, aimer un jour un homme comme une femme.
Et pourtant, quand il avait rencontré Hortense lors de cette étonnante soirée, chacune de leurs retrouvailles réanimait le doute qui s'était insinué en lui lorsqu'il lisait ces ouvrages sacrés, tout autant que les grands philosophes d'antan, en ces nuits de solitude où il étudiait la théologie. Pourquoi l'amour était-il refusé aux hommes de foi ? Pourquoi voyait-on aussi mal l'amour entre deux hommes ou deux femmes ? Dieu ne condamnait pas l'amour, il le prônait.
Le jeune prêtre n'avait jamais entendu la voix de Dieu, n'avait jamais perçu de signe de lui, mais quand il lisait les paroles du Christ, il avait le sentiment d'une vérité profonde qu'on ne pouvait ignorer, que cet enseignement était des plus importants. Et cela le chagrinait lorsque les hommes ou l'Église même y contrevenaient. Ce qu'il avait dit à Matthew était le reflet de ses pensées, il fallait se battre pour garder les ténèbres éloignées et faire triompher l'amour. En parcourant ces mots, il eut l'impression qu'enfin, le dandy l'avait écouté, qu'enfin, il laissait son cœur parler.
Mais pourquoi était-ce lui qu'il aimait ? Un homme d'Église, un homme de foi ? Pourquoi ce pari stupide ? Et pourquoi cela lui faisait aussi mal d'imaginer Matthew seul et triste ?
Ce n'était pas l'idée d'aimer un homme qui le dérangeait au fond. Cette pensée le surprit plus encore que la profondeur de ses sentiments quand les larmes noyèrent l'encre couchée sur le papier.
La première stupeur fut de réaliser que sa mère, un modèle de vertu, avait en réalité aimé une autre femme. En rangeant ses affaires, après sa mort, il avait découvert ces innombrables lettres aux mots souvent difficiles à lire, car des larmes en avaient effacé l'encre. Il comprit alors que pendant toutes ces années, sa mère avait aimé en secret, sans jamais oser trahir ses vœux de mariage que sa foi et la société lui imposaient. Elles s'étaient contentées de lettres où l'amour le plus sincère, le plus doux, le plus déchirant et le plus passionnant avait filtré.
La seconde fut durant son séminaire à Rome. Un voyage étourdissant et exotique où son esprit s'élevait sans cesse. Dès les premiers instants, il tomba amoureux du paysage, de la douceur du climat, de l'art et sans s'en rendre compte, d'un camarade de prêtrise. Il n'aurait su que c'était de l'amour sans les lettres de sa mère. Ne pouvant risquer la vie de son ami ni la sienne, il avait demandé à être changé de diocèse et à être envoyé en Angleterre.
La dernière enfin, cette paroissienne qui en avouant n'aimer son mari, le visage baigné de larmes et la main moite, avait attrapé la sienne. Il n'y avait eu ni déclaration ni promesse, juste deux mains serrées l'une contre l'autre. Après cela, elle garda une distance froide qui blessa Théophile jusqu'à ce qu'elle ne vînt plus du tout.
L'amour lui paraissait hors d'atteinte et peut-être était-ce mieux ainsi ? La robe de prêtre l'en protégeait, faisant office de barrière, repoussant tous ceux qui auraient voulu s'approcher d'un peu trop près. N'avait-il pas peur, en fin de compte, lui aussi de l'amour ?
Pourtant, son cœur battait fort dès qu'il songeait à Matthew, le manque se changeait en douleur, plus encore, il craignait qu'il ne mette fin à ses jours. Tant de folie, songeait-il. Peu importait le travestissement élaboré, le mensonge habile, la véritable folie restait l'amour et non la mascarade. Il était prêtre et ses vœux rendaient tout impossible.
Impensable.
Pourtant... des prêtres renonçaient à la robe.
Pourtant... il existait des pays plus cléments envers l'amour entre deux hommes.
Pourtant... son cœur battait et il ne pouvait l'ignorer.
Pourtant... ce mot entre ses mains soufflait en lui d'horribles idées, d'envies et de désirs qu'il ne pouvait accepter.
Céder restait impensable. Fou. Terrible. Fatal.
Mais y renoncer devenait de plus en plus insupportable. Lui pourrait s'en passer, mais jamais Matthew. Il possédait un cœur bien trop étincelant ! Un cœur n'ayant jamais aimé, un cœur qui avait toujours été baigné dans l'obscurité, noyé dans la détestation, et qui, comme une plante n'ayant vu le soleil, cherchait avidement la lumière.
Théophile réalisa qu'il pensait être le seul capable de sauver l'âme de Matthew. Bien qu'il s'estima égocentrique à songer cela, il n'arrivait à s'arracher cette idée de l'esprit. À chaque tentative de se raisonner, elle s'enracinait un peu plus. Si bien qu'il devint impossible de lutter contre.
James les aiderait. Il l'avait promis.
Il avait tout planifié : leur voyage jusqu'en Italie, l'appartement vénitien de généreux amis. C'était la ville des amoureux, n'est-ce pas ? Théophile avait souri, même lui savait qu'il confondait avec Vérone, sans doute un pieux mensonge. James n'attendait qu'un oui de sa part, qu'un signal.
Peu importait la foule d'arguments contre, Théophile sentait son cœur se remplir d'allégresse à cette idée.
Toute sa vie, il avait été ce qu'on voulait qu'il fût, remplissant les devoirs qu'on lui avait confiés, rentrant dans ce carcan que la société lui avait destiné. Matthew avait mille fois raison. Sa vie ne lui avait jamais réellement appartenu. À présent, il pouvait choisir.
S'il réfléchissait trop, il reculerait, il devait faire le saut de l'ange, le saut de la foi, accorder sa confiance à James et admettre son amour pour Matthew. Toute son existence, il avait exhorté ses paroissiens à accepter l'amour, à se fier à leur cœur, quel hypocrite il serait de n'en faire autant pour lui-même.
Bien sûr, la peur de tout ce qui les attendait tapissait son cœur, engloutissait une partie de la joie qu'il éprouvait. Pour autant, il décida de lui offrir de la résistance, pour la première fois de sa vie.
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Bad Romance
RomanceMatthew de Beaufort, dernier du titre en Angleterre du moins, écarte toutes les promises que lui envoie sa tante. Il préfère festoyer, parcourir les bas-fonds londoniens en compagnie de ses amis, presque aussi terribles que lui. Leur jeu ? S'adonner...