Chapitre 11

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— M-m-matthew... s-s'il v-vous plaît...

Cette supplique étouffée revenait comme un lancinant refrain. Il ne savait, si le prêtre lui demandait de continuer ou d'arrêter. Ses lèvres restèrent collées aux siennes un instant encore puis son corps se détacha. Théophile avait cessé de se débattre et le regardait hébété, les lèvres entrouvertes, les yeux perdus dans le vague.

Ses doigts s'avancèrent vers cette chair ayant pris bien trop souvent le soleil, il voulait en constater la texture, s'aventurer sur ce visage. Mais lorsque la pulpe de son index toucha la joue du prêtre et que, soudain, les paupières de ce dernier s'ouvrirent toutes grandes, la réalité referma sa gueule dotée de crocs acérés sur lui.

Les prunelles dénuées de compréhension lui renvoyaient tout ce qu'il connaissait, l'absence de jugement du vicaire révélait en creux le sien. Son extrême conscience des conventions qu'il ne cherchait qu'à violer, à n'importe quel prix, des règles de cette bonne société anglaise qu'il haïssait si profondément.

Une société qui le jugerait coupable. Cet énième crime, car aimer cet homme en était un à leurs yeux, s'ajoutait à la liste déjà considérable. De sa bâtardise, des origines de son père, de sa peau hâlée qu'il couvrait de fond de teint blanchâtre. Alors, pourquoi renoncer, quitte à plonger dans l'abîme autant s'y enfoncer tout entier ?

Pourtant, il regrettait d'y entraîner le vicaire, de l'avoir souillé lui aussi, de sa haine, de sa colère. Le français n'était en rien responsable de ce qu'il éprouvait en chaque instant, des difficultés qui furent siennes.

— Je suis désolé, Théophile, je...

Le souffle court, le cœur battant encore la chamade, il éprouva quelques difficultés à rassembler ses idées.

— Vos vœux... nous séparent, j'en ai conscience, mais... je vous aime et je sais que vous m'aimez en retour, ne le niez point ! Vous m'avez écouté tout du long, vous avez supporté ma compagnie... et même après que James vous ait tout dit, vous m'avez pardonné ! N'est-ce pas la preuve même de votre amour ?

Théophile ne répondit rien, il demeura bouche bée, à le fixer avec ses grands yeux verts écarquillés. Matthew sentit son coeur vaciller.

— Pourtant, continua le baronnet, avec vous, je doute. De mes convictions, de ma vision du monde... Vous avez raison, je hais mon nom, peut-être même moi-même, et certainement ce monde absurde qui nous interdit de nous aimer. N'est-ce pas la chose la plus absurde et méchante qui soit ?

Ce silence s'obstinait, le rendait furieux, pourquoi le français ne répondait-il rien ? N'était-il donc jamais en colère contre quoi que ce soit, qui que ce soit ?

— Je sais bien que vous n'allez pas renoncer à l'Église... Le Ciel, Dieu, comment pourrais-je seulement rivaliser ? Quelques nuits en ma compagnie ne valent sans doute rien en comparaison du Paradis...

Devant ce regard qui ne flanchait pas, Matthew ne trouvait plus ses mots, butant sur les syllabes.

— Que va...lent... des... étreintes... balbutia-t-il.

Ce fut au prêtre de rompre la distance les séparant, sa robe rêche vint se frotter au taffetas et à la soie. Le dandy aurait voulu qu'il le touche, qu'il l'embrasse, qu'il l'enlace, mais le prêtre s'arrêta à quelques centimètres seulement.

— V-vous avez r-raison, Matthew, m-mon cœur n'est pas in-indif-f-férent à votre pr-présence. J'ai senti dès n-notre rencontre que vous étiez d-différent. J'ai r-remarqué vos traits s-sous la voilette, mais j'ai ri-rien dit... je me s-suis m-menti à m-moi-même. Je suis n-naïf, je suis p-pas c-cultivé c-comme v-vos amis.

Bad RomanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant