Chapitre 8

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Matthew détestait voir sa figure d'ange aussi amochée. Sa poudre dont il usait pour se donner un teint de porcelaine ne pourrait masquer les bleus tirant sur le violet qui constellaient son visage tout comme son corps. La douleur n'était rien en comparaison de l'allure qu'il avait. Dans cet état, il ne pouvait voir le prêtre sans risquer une foule de questions indiscrètes. Dans un soupir d'exaspération, il se décida à courir les boutiques.

Cette occupation lui rafraichirait l'esprit, à n'en point douter. Il se grisa à l'idée de composer une toute nouvelle garde-robe. Il était temps qu'Hortense sortît de son deuil et portât à nouveau des couleurs qui lui donneraient l'allure d'une jeune fille en fleur. Matthew fit venir les meilleurs tailleurs de Londres en son appartement qui se trouva très vite envahi d'une montagne de tissus.

Le soir, il courrait rejoindre ses amis au cabaret. Quand il y découvrit James, il s'arrêta, incertain de sa réaction.

— Ne nous battons pas, je t'en prie ! soupira-t-il, inquiet.

Mais James ne leva le poing, il se contenta de le prendre dans ses bras.

— Je m'excuse, j'étais idiot.

Soulagés de les voir pacifier ainsi, leurs amis commandèrent une double ration de fée verte. Les rires vinrent bientôt éclore quand ils ravivèrent le souvenir de cette soirée.

— J'ai bien cru qu'on ne vous verrait plus ensemble, tous les deux, lança l'un des compagnons de beuverie.

— Vous plaisantez ? Que ferait Matthew sans moi ? s'exclama James en lui accordant une grande tape dans le dos.

Le baronnet éclata d'un petit rire amusé, lorgnant son ami avec un sourcil haussé. Il ne lut aucune rancœur dans ses yeux, rien d'autre qu'un grand sourire et de l'amusement. Avait-il suffi donc d'une bagarre pour que toutes ces tensions s'apaisent ? Matthew soulagé se laissa aller à l'ivresse, partageant de bon coeur les moments d'hésitations et de gênes du prêtre. Les rires pleuvant le gênèrent toutefois, si bien qu'il demanda où en étaient les autres.

Aux premières caresses de l'aurore, quand il s'étendit dans ses draps et ferma ses paupières, le visage du prêtre revint le hanter. À force de se tourner encore et encore dans ses draps, il soupira en concevant qu'il ne pouvait l'effacer de ses pensées. Mieux valait embrasser cette obsession en finalisant son plan. Remporter le pari, mettre fin à ce petit jeu, voilà ce qu'il lui fallait.

Matthew sentit son cœur palpiter lorsque son reflet dans le miroir lui révéla qu'il était désormais présentable, les bleus s'étant suffisamment estompés. Préférant la surprise, il décida de ne point l'avertir de sa visite et de le surprendre en son église. Il espérait ainsi se faire pardonner son absence de quelques jours.

Hélas, l'accueil s'avéra bien éloigné de ses attentes.

— Hortense, vous... vous devriez vous en a-a-aller, déclara Théophile avec un air triste.

Matthew resta frappé par ces paroles. Sa bouche s'ouvrit sans qu'aucun son n'en sorte alors que le vicaire s'approchait de lui. Ayant brusquement crainte d'être chassé sans plus d'explication, le dandy se reprit.

— Mon père, je suis désolé pour mon silence. J'étais malade, mais je vous assure m'être parfaitement remise...

— Je s-sais tout, lâcha le français.

Matthew s'interrompit en regardant Théophile. Que savait-il au juste ? Il repassa dans son esprit leurs derniers échanges, il ne pensait pas s'être trahi. Rien de ce qu'il avait pu dire n'aurait pu justifier pareille réception ! Lui qui pensait qu'ils s'étaient rapprochés... peut-être trop aux yeux du prêtre ?

Ce dernier répondit, malheureusement, à ses interrogations :

— Votre a-ami James Da-davenport est venu me v-voir, il m'a to-tout raconté. Il est i-inutile de co-continuer cette ma-ma... mascarade !

Ami... le mot trahison coulait tel un poison en l'esprit du baronnet.

— James... je... balbutia le dandy, non, non, vous, vous trompez...

— J'i-ignore ce qui vous a pou-poussé à faire une pa-pareille chose...

Le vicaire inspira longuement, Matthew aurait voulu le couper, l'empêcher de continuer, mais n'en trouva la force.

— Sachez que je vous... vous en veux pas et que je di-dirais rien à qui que ce soit. Mais... je... je veux que vous... vous partiez.

Les battements du cœur de Matthew s'affolèrent et frappèrent si brutalement en sa poitrine corsetée. Il eut l'impression de suffoquer. La main du prêtre se posa sur son bras, peut-être dans l'espoir de le calmer, mais l'effet inverse se produisit. Son palpitant s'emballait alors même qu'il avait la brutale sensation qu'il gisait en mille morceaux. Sa bouche se tordit dans un rictus douloureux.

Plus aucun jeu ne l'habitait, seulement la sensation d'avoir perdu, tout perdu. Matthew crut choir à nouveau et le bras qui le retint s'avéra ferme.

— Théophile, murmura-t-il.

Quand Matthew chercha en ses prunelles quelque trace de colère, il n'y trouva rien d'autre que de la déception et une infinie tristesse qui le prit par surprise.

— Vous... vous ne m'en voulez pas ?

— Non, Ma-matthew, je vous... pardonne.

Plus que du désespoir, ce qu'il éprouvait en cet instant, restait de la stupeur. Pourquoi le vicaire n'éclatait-il pas dans une colère justifiée ? Ne l'avait-il point abusé ? N'avait-il point menti ? Pourtant, Théophile continuait de l'observer avec ces grands yeux tristes. Matthew réalisa, avec effarement, qu'il sentait un poids alourdir son ventre, comme s'il venait d'avaler du plomb. Un goût amer envahit sa bouche alors qu'il déglutissait péniblement. Serait-ce de la culpabilité qu'il éprouvait ?

— Je...

— Je vo-vous pardonne, mais je vou-voudrais que vous qui-quittiez les lieux, insista le français. Ne re-revenez plus, je vous... vous en prie. Si vous avez une on-once de respect pour m-moi, partez.

Son cœur se débattait avec fureur dans sa poitrine compressée par ce maudit corset. Jamais encore, il n'avait ressenti un tel tourbillon intérieur. Il avait envie de hurler tout autant que de se jeter aux pieds du français et de le supplier.

Ce n'était pas du respect qu'il avait pour lui, mais quelque chose de plus fort, de plus poignant, de plus grand... et il avait tout gâché ! Il se sentait idiot et cruel. Pire encore, mauvais. Jamais avant il ne s'était senti aussi faible, aussi... brisé. Le sentiment s'avérait particulièrement inconfortable. Pourtant, il préférait endurer ce supplice que de ne plus être auprès de Théophile.

Pourtant, quand il releva les prunelles il ne rencontra que fermeté dans celles du français, ne perçut que dureté dans ses traits. Matthew réalisa qu'aucune supplique ne le ferait plier, il valait mieux partir sans demander son reste.

La mort dans l'âme, il quitta l'église non sans oser un dernier regard en arrière porté au prêtre. Son cœur devint lourd comme une pierre sombrant au fond de sa poitrine.

Bad RomanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant