— Pourquoi m'avoir pardonné ?
Sa voix s'élevait dans le carcan de pierre, y résonnait, pourtant sa sonorité restait bien trop aigüe au goût de Matthew. Il n'ignorait pas le caractère désespéré de sa démarche. Se rendre à l'Église où officiait Théophile pour tenter d'obtenir de lui... Quoi au juste ? Une reddition ? Totale ? Pourtant, malgré cette excessive conscience de l'échec très probable, il insistait, il s'obstinait encore et encore.
Quand le prêtre s'interrompit dans le rangement des missels et se tourna vers lui, le cœur du baronnet rata un battement, peut-être même deux. Il sentit une vive chaleur grimper le long de ses joues, brûler jusqu'à ses oreilles. Il aurait été plus aisé de fuir ce regard verdoyant s'enfonçant en lui. Mais Matthew n'avait jamais aimé la facilité. Il restait convaincu que les difficultés finiraient toujours par céder devant sa détermination.
— C'est ce qu'en... enseigne la bi-bible de pa-pardonner à ceux qui vous vous ont fait du tort... commença le français, malgré ses bégaiements, sa voix semblait bien plus assurée que celle du baronnet. Et puis, j'ai le se-sentiment que vous vous êtes fait plu-plus de mal que vous ne-ne m'en avez f-fait.
L'impression que cet homme d'Église l'avait percé à jour, se trouvait même capable de distinguer le tréfonds de son âme, cloua sur place le dandy qui en resta bouche bée. Certes, James l'y avait grandement aidé, mais Matthew ne pouvait s'empêcher de songer qu'il en avait dévoilé bien plus qu'il ne l'aurait voulu à Théophile.
— Vous pa-paraissez p-pas cr-craindre le dé-déshonneur ni le sca-scandale, vous avez même l'air de le re-rechercher, je me trompe ?
Matthew, trop surpris pour dire quoi que ce soit, hocha la tête.
— Je suis un ho-homme d'Église, Matthew, si je puis vous ap-appeler ainsi ?
— Je... je préférerais Hortense.
Pour une raison obscure, même si son secret était dévoilé, Matthew avait enfilé sa robe noire et même couvert son visage d'une voilette sombre. À ses yeux, Hortense demeurait liée à Théophile. À moins qu'il ne cherchât à préserver l'honneur du prêtre à défaut du sien ? Un homme lui aurait couru ainsi après, au sein de sa paroisse, nul doute que les pires rumeurs auraient alors circulé.
— J'ai a-appris à connaître le c-cœur des hommes en écoutant les con-confessions. Tout ce que m'a r-raconté votre ami me pousse à cr-croire que vous ch-cherchez avant tout à f-faire du mal à vous-vous-même, Hor-Hortense.
La manière dont le prêtre fronçait les sourcils tout en continuant de sonder les tréfonds de son âme mettait le dandy mal à l'aise. Il n'avait jamais apprécié qu'on regarde de trop près ses agissements encore moins qu'on cherche à les justifier. Il agissait ainsi parce qu'il en avait envie. Parce qu'il le pouvait.
— Vous avez une trop grande imagination, mon père. Ce n'était qu'un pari, idiot...
— Vous au-aauriez pu p-parier n'imp-porte quoi, mais vous vous êtes mis au d-défi d'ob-obtenir mon cœur. Celui d'un prêtre, in-ina-naccessible.
Au bord de la crise d'apoplexie, le prêtre s'arrêta. Il s'appuya même contre l'un des bancs dont il n'avait fini de ranger les missels. Sa main s'agrippa si fort au bois que ses jointures blanchissent. Pourtant, le français ne se départit guère de son sourire. Un sourire compatissant qui avait quelque chose d'insupportable pour le dandy.
— Po-pour y p-parvenir, vous vous êtes tr-travesti. Vous ê-êtes pas un homme du p-peuple dont les ex-excentricités a-amuseraient plus qu'autre ch-chose, vous êtes un me-membre de la no-noblesse, le d-dernier du ti-titre de votre ho-honorable lignée, parvint-il à dire d'une traite, pénible et douloureuse.
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Bad Romance
RomanceMatthew de Beaufort, dernier du titre en Angleterre du moins, écarte toutes les promises que lui envoie sa tante. Il préfère festoyer, parcourir les bas-fonds londoniens en compagnie de ses amis, presque aussi terribles que lui. Leur jeu ? S'adonner...