Cette fois-ci, Matthew ne chercha point de réconfort dans les bordels ni auprès d'amis, d'anciennes conquêtes ou de nouvelles, il resta cloîtré chez lui. Sans une seule goutte d'alcool courant dans ses veines, il s'alanguissait. Il écrivait des lettres qu'il déchirait aussitôt. Dedans, il y confiait tout l'amour qu'il avait pour le prêtre, mais aucun de ces mots ne reflétait la force de ses sentiments. Plus encore, si l'une de ces lettres atterrissait dans de mauvaises mains, elle détruirait leurs vies sans même lui offrir le réconfort des étreintes et lèvres délicates du vicaire. De toute façon, les envoyer serait parfaitement inutile, Théophile ne changerait pas d'avis, ce ne serait que plus douloureux encore d'espérer vainement.
Matthew s'enfonçait lentement mais sûrement dans les abîmes. Les larmes ne coulaient plus, la rage et la colère l'avaient quitté, il se sentait vide et triste comme les pierres tombales d'une des sept merveilles. Ses pensées le ramenaient toujours vers la mort sans toutefois avoir le courage d'en finir. Matthew avait toujours été douillet, l'idée même de la véritable souffrance l'horrifiait. Il y avait suffisamment goûté.
Ces abîmes où il s'enfonçait s'éventrèrent lorsque la perfide lumière du jour vint déchirer ses prunelles. Un James ouvrit d'un geste décidé les rideaux de velours. Une main posée devant son visage, dans une vaine tentative de se protéger de l'éclat grisâtre, Matthew harangua son ami :
— Va t'en, traître !
James continua sans même prêter attention aux salves d'insultes, il ouvrit les fenêtres et l'air frais du dehors s'engouffra dans l'appartement. Puis il se tourna vers lui, Matthew eut beau se débattre, son ami parvint à l'entraîner dans la salle d'eau.
Toutes les protestations et gesticulations de Matthew n'émoussèrent la volonté de son ami. Ce dernier s'affaira pour le nettoyer et l'habiller comme un enfant malade. En vérité, il le traitait comme tel, le força même à manger en enfonçant une cuillère en argent dans sa bouche quitte à heurter quelques dents au passage.
James s'occupa ensuite de l'appartement, qu'il rangea et nettoya. Matthew ayant renvoyé ses employés, personne n'avait passé un seul coup de balais ou de chiffon depuis qu'il était revenu, brisé, de l'église. James habitué aux frasques de son ami n'avait cependant encore jamais dû récurer ainsi, comme un banal serviteur. Il s'étonna de ressentir une si grande fierté en constatant le travail accompli, guère aussi bon que celui d'un bataillon de bonnes et de valets, mais tout de même, la douleur dans ses muscles confirmait l'intensité du labeur.
Épuisé, il se laissa tomber dans le fauteuil juste à côté de celui où reposait son ami.
— Pourquoi fais-tu tout cela ? demanda Matthew en l'observant d'un œil torve.
— Parce que tu en avais besoin ? Parce que c'est ce que font les amis ?
— Nous ne sommes guère plus amis, rappela le baronnet, pas après ce qu'il s'est passé.
— Qu'est-ce que tu racontes ? Bien sûr que si, on est amis.
— James, tu m'as avoué tes sentiments et je t'ai baisé comme si tu étais la dernière des catins, pour ensuite courir voir le prêtre persuadé qu'il m'aimerait en retour. Le pire c'est que je l'ai embrassé et s'il m'avait laissé faire, je lui aurais fait l'amour... soupira le dandy en s'enfonçant un peu plus dans le velours et les coussins.
— Matthew, répliqua James, je t'ai trahi le premier. J'ai tout raconté à cet homme et il aurait très bien pu te dénoncer après cela. J'ai agi comme le premier des imbéciles, je t'ai mis en danger par jalousie. Pire encore, je t'ai menti pendant des mois.
Durant sa confession, James avait relevé le nez et contemplé le plafond. Il réalisé qu'il l'avait négligé durant son grand nettoyage. Nombre de toiles d'araignée constellaient les recoins.
— Alors nous sommes deux piètres amis... conclut Matthew.
— Les pires qui soient, répliqua James en riant.
Son regard s'était posé sur son ami, le baronnet avait ce teint blême inquiétant.
— Je suis désolé... commença le dandy.
— Je le suis tout autant, concéda James. Je n'aurais jamais dû faire cela.
— En réalité, tu as bien fait... avoua Matthew.
James cligna des paupières alors que le dandy se redressait.
— Jamais je ne lui aurais dit la vérité, mais il aurait fini par découvrir ce que je suis, et nul doute que l'effet aurait été plus désastreux encore. Et puis... c'était un pari idiot. Je ne sais guère où j'avais la tête...
Matthew se pencha en disant cela et tendit sa main en direction de lèvres de James qui se raidit.
— J'ai été idiot, demanda le dandy, n'est-ce pas ? À chercher en vain l'amour auprès d'un homme ne pouvant me le donner alors que je l'avais juste sous mes yeux durant tout ce temps...
James saisit la main de Matthew avant qu'il n'atteigne son but. Il repoussa gentiment celle-ci en se relevant.
— Je t'ai pardonné cette partie de jambe en l'air maladroite. Tu en avais besoin autant que moi. Il nous fallait nous prouver que tu ne m'aimes pas. Ne le nie pas, s'il te plait, ce serait cruel, Matthew, trop cruel. Je ne veux pas être une sorte de bouée de secours à laquelle tu te raccroches. Je ne suis pas un de lot de consolation...
— James, tu es un idiot ! s'exclama le dandy défraichi. Je ne t'aime pas comme tu m'aimes, je ne saurais prétendre le contraire, mais nous sommes capables de nous infliger des horreurs et nous pardonner ensuite... n'est-ce pas cela : l'amour tendre et sincère ? L'amitié la plus profonde ?
Un rire éclata des lèvres de Davenport qui regardait le baronnet avec des larmes aux yeux.
— Si tu savais combien de fois j'ai rêvé que tu me dises des choses pareilles, Matthew, mais je sais comment tu es, je sais que tu te moques de l'amour sincère et de la tendresse. Si tu t'entendais, expliqua James, tu te moquerais de toi-même. Tu n'es pas fait pour les histoires d'amour sobres et délicates. Tu as besoin de la passion, de l'impossibilité et des complications abyssales.
Rompant la distance entre eux, il s'agenouilla devant Matthew avant d'ajouter :
— Et puis, ton corps me l'a dit, tu ne m'aimes pas. Je n'ai pas envie que tu prétendes le contraire. Ça serait une injure à notre amitié.
— James...
— Non, Matthew.
— Tu ne peux pas... me briser le cœur ainsi.
— Mais de quoi parles-tu ? s'indigna James. Tu ne m'aimes pas. Si tu m'aimais, ce serait plus facile, trop facile pour toi. Je suis désolé, Matthew, mais c'est lui que tu désires, uniquement lui. Cela me peine doublement, que tu ne puisses m'aimer, que je ne sois cet homme que tu convoites tant...
Bien qu'il lut une immense tristesse dans les yeux de son ami, Matthew sentit sa détermination dans ses gestes autant que ses paroles. Et à ce stade, James possédait infiniment plus de volonté que lui-même. Cela aussi était inhabituel, à croire que tous deux avaient été transformés.
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Bad Romance
RomanceMatthew de Beaufort, dernier du titre en Angleterre du moins, écarte toutes les promises que lui envoie sa tante. Il préfère festoyer, parcourir les bas-fonds londoniens en compagnie de ses amis, presque aussi terribles que lui. Leur jeu ? S'adonner...