Chapitre 4

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— Aurai-je la chance de vous revoir ?

La question résonna sur les lèvres maquillées du baronnet. À l'instant des adieux, il se sentit tel une Cendrillon soupirant après son prince. C'était délicieusement inconvenant.

— Le sou-souhaitez-vous vraiment ? s'étonna Théophile.

Matthew n'avait quitté le vicaire de la soirée, enchaînant les excuses pour rester à ses côtés. Pourtant, l'ignorant ne percevait l'attention de la veuve à son égard. Habitué aux jeux de faux semblants, le dandy avait cherché dans ses yeux comme sa voix l'ombre d'un soupçon d'ironie pour revenir les mains vides. Il regrettait presque de devoir salir toute cette innocence.

— Naturellement, vous m'êtes d'une compagnie très plaisante. Et puis, une veuve telle que moi fréquente peu de monde, hélas.

Abattant la carte de la fragilité, Matthew sourit en songeant que le prêtre s'apprêtait à tomber tout entier dans la gueule du loup.

— Nous nous reve-verrons, je vous en fais la pro-promesse, ma-madame !

Matthew dut faire les plus grands efforts pour cacher le sourire de victoire menaçant de s'étaler sur ses lèvres alors que le prêtre le saluait d'une petite révérence, à laquelle il ne manqua rien, pas même le baisemain.

Le baronnet, habitué aux promesses vaines, s'assura d'obtenir le moyen de le joindre. Puis, ils s'abandonnèrent.

De retour à son appartement, Matthew se changea pour rejoindre son club d'amis. Gardant le corset, car un dandy se devait d'avoir la taille fine, il enleva la fausse poitrine ainsi qu'une bonne partie du maquillage, mais conserva le teint pâle et l'ombre sous les yeux qui lui donnaient une expression sauvage. Il troqua ses jupons contre un pantalon proprement coupé qui allongeait ses jambes et acheva l'ensemble en enfilant une veste en velours qui tombait dans son dos telle la traîne d'une robe. S'admirant dans le miroir, il s'estima parfait pour le cabaret.

Après un court voyage en cab, Matthew retrouva James en compagnie de la troupe dans l'atmosphère enfumée. Le dandy ignora le regard sombre de son ami qui l'avait pourtant suivi jusqu'à présent dans toutes ses excentricités.

— Tu aurais dû venir avec moi, tu as raté une délicieuse soirée ! taquina-t-il en saisissant la fée verte en bouteille pour s'en servir un verre.

— Et courir le risque de tomber avec toi si ta supercherie était découverte, non merci, rétorqua James.

— Au contraire, j'ai déniché le meilleur paravent qu'il soit !

Le dandy s'était persuadé qu'un prêtre catholique aurait trop à perdre en le dénonçant. Convaincu de sa victoire, il observa ses amis et compétiteurs, laissant le suspense s'épaissir avant d'annoncer :

— Un prêtre français s'y trouvait, si perdu que je me suis naturellement proposé pour le guider. C'est ainsi que j'ai réussi à l'accrocher à mon bras tel un ornement. Bien évidemment, il a cru en mon personnage de veuve éplorée. D'ailleurs, nous devons nous revoir...

Les réactions furent diverses, mais seul James eut l'air choqué :

— Mon dieu, Matthew, tu es devenu complètement fou !

— James a peut-être raison, mais si tu y parviens... tu pourrais remporter notre admiration à tous, le défia le pétillant Rudolph qui savourait la dispute comme un spectacle plus divertissant encore que ce qu'il y avait sur la scène.

— Passons aux choses sérieuses, les amis, proposa Matthew avec un air malicieux. Combien pariez-vous que je parviens à le glisser dans mon lit ?

Les regards qui s'échangèrent à cet instant rivalisaient en intensité. Leur club n'avait jamais été aussi ambitieux. Tous risquaient le scandale, la syphilis de par leurs mœurs dissolues, mais aucun n'avait encouru jusqu'à présent le risque aussi manifeste de se retrouver devant la justice des hommes autant que celle du ciel.

Était-il fou ? Matthew se posa la question après que l'absinthe eut fait effet et qu'il s'enfonça dans la contemplation de volutes de fumée, grisé par les chansons paillardes, en suivant les mouvements électriques des danseurs. Ces paris le poussaient à de plus en plus de folies et d'audace. Mais se mettait-il réellement en danger en agissant ainsi ? Il avait refusé, jusqu'à présent, de laisser l'éventualité de catastrophiques répercussions le ralentir. Pourtant dans un bref moment d'hébétude il vit la menace de la prison planer devant ses yeux. Il chassa l'idée d'un air boudeur. Lui, Matthew de Beaufort, riait face au danger et au scandale !

— Matthew, tenta de le raisonner James, tu ne vas pas vraiment faire cela ? Courtiser un homme d'Église jusqu'à l'amener dans ton lit... c'est trop dangereux. Tu es le plus audacieux d'entre nous, je t'assure que tu n'as rien à nous prouver...

— C'est adorable de t'inquiéter pour moi, mais je m'en sortirai, comme toujours, mieux encore, je vous éblouirai ! s'enthousiasma le baronnet.

Sa main tapota la joue de son ami alors qu'un sourire indolent ourlait ses lippes moqueuses. James s'empara de sa main, ses yeux chocolatés lançaient des éclairs presque inquiétants.

— Je t'en conjure, ne fais pas cela. Tu ne réalises pas les risques que tu encours... et pas seulement toi, tu pourrais tous nous entrainer dans ta chute ! insista son ami en désignant l'honnête assemblée du club des audacieux.

— Vous ne risquez rien du tout, ne t'en fais donc pas. Avons-nous jusqu'à présent eu le moindre ennui ? Pourtant Henry a séduit la cousine du roi, dois-je le rappeler ? Toi-même, tu as réussi à te faire passer pour un prince de Monaco avec cet accent à mourir de rire ! argumenta le dandy.

James secoua la tête, Matthew crut même le voir froncer des sourcils à travers les volutes de fumée.

— Cesse de prendre tout pour un défi, tu vas te faire tuer ou pire encore finir au bagne ! On dirait que la mort t'amuse, que tu ne te soucies pas de ta propre vie, s'agaça James.

La voix de son ami aux accents aigus lui donnait mal à la tête. Le baronnet dédaigneux esquissa une moue et repoussa James d'un geste nonchalant.

— Arrête de geindre, je ne suis pas à l'article de la mort ! Ce n'est qu'un défi, détends-toi un peu ! répliqua Matthew.

Il ignora le regard triste que lui jetait son confident qui malgré ses cruelles railleries restait à ses côtés.

À contrecœur, James détourna le regard : il lui était inutile de continuer d'argumenter, son ami avait toujours été sourd à toute raison. Un jour, Matthew irait trop loin. Le destin qu'il défiait sans cesse finirait par le rattraper. Cet instant fatidique lui paraissait désormais trop proche. Ce défi pourrait bien être le dernier tant le risque était élevé. Au fond de lui, il se doutait que ce n'était pas uniquement du fait du danger encouru par son ami que son cœur s'alourdissait. Il préférait ne pas y penser et imita ces gentlemans en vidant son verre d'un trait.

Bad RomanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant