Chapitre 9

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James s'en voulait. Un mois s'était écoulé et il devait à présent admettre que Matthew ne risquait plus de paraître au club. Nul doute qu'il l'évitait après ce qu'il considérait comme une trahison. Il doutait que son ami puisse comprendre ses raisons, sans doute préférait-il se perdre en des paradis artificiels.

L'inquiétude grandissante qui dévorait son estomac le poussa à s'orienter vers les fumeries d'opium. Quelques visages fermés secouèrent la tête, le renvoyant vers d'autres établissements. Des bordels, évidemment. James en fit la tournée pour apprendre que son ami avait réussi l'exploit de s'en être chassé. Son ivresse l'avait poussé à quelques débordements, sans parler de ses querelles qu'il cherchait sans cesse.

— Allez voir sur Whitechapel, il paraît qu'il en hante les rues, lança une mère maquerelle au visage rougeot.

Son estomac ne s'en trouva guère délivré de son nœud. Au contraire, un peu de bile remontait alors qu'il esquissait quelques pas en direction du quartier le plus dangereux de la capitale anglaise. Son ami cherchait-il à en finir avec la vie ? Non, Matthew ne pouvait pas céder aussi facilement, il n'y avait pas plus buté que lui.

Pour autant, il savait être la principale raison des tourments de son ami. Comment pourrait-il l'abandonner ? Bien décidé à le secouer, il attendit le lendemain, que le soleil resplendît de mille feux, pour appeler un cab et se rendre dans la garçonnière du baronnet. En visant l'heure du déjeuner, il était certain de l'y trouver.

Le valet de chambre qui le connaissait pourtant bien hésita à le laisser entrer.

— Allons, Pierre, vous n'allez pas me laisser à la porte ?

— Mon maître refuse de voir qui que ce soit, surtout pas vous, monsieur, s'excusa le pauvre homme.

Ce regard fuyant en disait long sur ce que son ami devait faire subir à son personnel.

— Je me doute bien, mais je suis le seul à pouvoir le faire sortir de cet état.

— N'en êtes-vous pas également responsable ? Souleva à juste titre le maître d'hôtel.

— Allons, vous me connaissez, vous savez comment on est, on se dispute et on se réconcilie aussitôt !

— Eh bien non, je n'ai jamais vu mon maître dans cet état...

Un soupir de frustration échappa des lèvres du jeune homme. Il envisagea pendant une seconde de forcer le passage. Mais l'arrivée inopinée d'un vase venant se fracasser contre l'encadrement de la porte mit fin pendant quelques secondes à l'échange.

Aussitôt le maître d'hôtel esquiva le guéridon qui semblait destiner à suivre le même trajet, du moins, si son poids et la gravité n'en avaient décidé autrement. Le malheureux meuble s'écrasa au sol. James releva des yeux inquiets pour découvrir son ami, le visage dévoré par des cernes violacés, ce qui semblait être des restes d'un repas incrusté sur sa chemise de nuit, les cheveux hirsutes, sans le moindre maquillage, gesticulant et vociférant :

— Va-t'en ! hurla le baronnet. Espèce d'enfoiré, retourne chez toi !

— Matthew... tenta-t-il d'un pas aventureux.

— James, je suis très sérieux, va-t'en ! Si tu t'avances, je te tuerais, menaça le baronnet avec un regard sombre.

— Pour ça, il faudrait que tu sois capable de tenir debout... observa James.

Le corps amaigri de son ami tenta de se relever, s'accrochant comme il pouvait à son divan, ses bras battant dans l'air. Il eut l'impression de voir une oie tenter de prendre son envol.

— Ne me défis point, lança le baronnet qui lentement s'échouait sur le côté du divan.

— Matthew, je parie que tu n'as rien mangé de solide, n'est-ce pas ? Si tu cherches à te tuer avec de l'alcool, ça va être très long et douloureux, je t'assure !

Bad RomanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant