Matthew laissa s'écouler quelques jours. D'une part, parce qu'il devait se remettre de la soirée passée avec James et sa morale et d'autre part, il ne voulait pas donner l'impression d'être désespéré. Pour séduire, il convenait d'atteindre un délicat équilibre entre la distance, afin de susciter le manque, et de proximité, où les sentiments pouvaient éclore.
Inviter le français chez lui comportait plusieurs problématiques, dont l'état de cet appartement de célibataire, mais se rendre au presbytère où, il lui semblait, vivaient les prêtres catholiques, lui parut trop audacieux. Aussi, le dandy proposa au vicaire de passer l'après-midi à Regent Park. Un pique-nique serait trop romantique, il valait mieux se cantonner à une promenade pour le moment. S'il se montrait trop gourmand, il pourrait perdre ce pari.
Face à son imposante garde-robe, Matthew opta pour une toilette noire bien plus sobre que celle qu'il portait au bal. Il ajusta un petit chapeau sur sa perruque et fit tomber la voilette sur ses yeux qu'il avait soigneusement maquillés.
Il ne pouvait nier le plaisir qu'il avait à se travestir. Le carcan de son genre l'étouffait presque autant que celui de sa classe sociale.
Une fois paré, il s'admira dans le miroir, estimant son allure divine, ses traits à la finesse d'un ange et cette robe lui donnait une croupe qu'on ne pouvait que désirer. Le sentiment de beauté que sa tenue lui inspirait valait bien de supporter le poids des jupons, jupes, volants et rubans qui l'ornaient.
Lorsqu'il retrouva Théophile, il constata que ce dernier conservait cette sobriété qui semblait le caractériser. Il portait le même costume noir qu'au bal, à la différence qu'il arborait cette fois-ci un col romain. Ce rappel des vœux du prêtre n'affadit en rien les ambitions de Matthew, bien au contraire.
— Vous verrai-je un jour en soutane ? demanda-t-il.
Un éclair de surprise traversa les prunelles vertes du prêtre.
— Si vo-vous venez à mon é-église, oui, ânonna Théophile avec un sourire amusé.
Le français avait-il seulement conscience de combien il était attirant quand il relevait ses commissures de concert ? Cela illuminait tout son visage. L'imaginer dans une soutane d'un violet profond, illuminé des candélabres, dans l'écrin du marbre de l'autel renforçait le désir qui consumait déjà Matthew.
— Est-ce loin ? demanda le dandy, plus pour lancer la conversation que par réelle curiosité, car en tout bon londonien, il redoutait de mettre un orteil dans les faubourgs.
— Avec la ci-circulation, cela peut pr-pre-prendre une heure, expia le prêtre. Saint Jo-John's Wood est ra-ravissant, je suis certain qu'il vous... vous plaira.
Matthew s'étonnait de ne plus autant s'agacer devant l'insistance du vicaire à prononcer des phrases si longues et si bien tournées en dépit de ses difficultés. Même l'idée de braver la banlieue si terrifiante ne semblait plus si affreuse, surtout si cela lui permettait de gagner son pari.
— J'accepte votre invitation, je viendrai vous voir en votre fief, répondit-il avec un sourire désarmant.
Lady Beaujour au bras du prêtre d'Anselme s'avança vers le chemin tracé entre les arbres majestueux qui se dressaient dans le ciel et s'épanouissaient en une verdoyante canopée. Bien des nobles avaient vu d'un mauvais œil que le terrain de chasse royal devînt un parc ouvert à tout le monde. Certains avaient du mal à accepter les bouleversements de la société. Matthew, lui, les accueillait avec plaisir.
Enfin, quand aucun vagabond ne venait l'agresser bien sûr !
Un mendiant surgit de nulle part, le visage noir de saleté, et s'accrocha à sa robe. Matthew dut se munir de tout le sang-froid qu'il possédait pour ne pas hurler face au danger ! Heureusement, son compagnon vint à son secours.

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Bad Romance
RomanceMatthew de Beaufort, dernier du titre en Angleterre du moins, écarte toutes les promises que lui envoie sa tante. Il préfère festoyer, parcourir les bas-fonds londoniens en compagnie de ses amis, presque aussi terribles que lui. Leur jeu ? S'adonner...