Chapitre 2

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Flavie

En rentrant du bar, mon frère me fait visiter son appartement, qui sera désormais le mien. À part les meubles et les ustensiles de cuisine, il a tout enlevé pour que je m'y sente chez moi le plus vite possible.

- Tu seras bien ici, déclare-t-il comme pour lui-même. Et Ben est juste à côté pour monter la garde, ça me rassurera.

Cette remarque et son clin d'œil furtif me font sourire.

- Allez, je vous laisse, ma sœur m'attend, annonce Jane dans un français impeccable.

J'interroge mon frère du regard, qui s'empresse d'éclairer ma lanterne :

- Je t'invite au resto. Tu ne croyais quand même pas te débarrasser de moi aussi vite ? lance-t-il un brin rieur.

***

Attablés dans ce restaurant à la décoration typiquement anglaise, mon frère secoue la tête d'un air navré :

- Prends autre chose qu'un fish and chips, tu passes pour une touriste. Il ne manquerait plus que tu prennes un cheese-cake en dessert, se moque-t-il.

- Oh mais j'en ai bien l'intention ! rétorqué-je dans un grand sourire.

Ses yeux pétillent au moins autant que les miens lorsque nous trinquons à nos retrouvailles après un vide de presque un an et demi. La dernière fois qu'il est revenu en France, c'était pour nous présenter Jane pendant les fêtes de fin d'année. Bien sûr, la technologie nous a permis de prendre régulièrement des nouvelles l'un de l'autre, mais ce n'est pas pareil.

Je profite de ce moment privilégié et le félicite de vive voix pour l'avancée de sa vie de couple. J'observe mon frère, trop heureuse de ne pas avoir à vivre ce moment par écran interposé. Je le trouve beau avec ses cheveux bruns un peu plus longs qu'avant, son regard noisette d'une douceur infinie et sa barbe de quelques jours lui donnant un air plus mature qu'avant. Ils forment un beau couple avec Jane, et il me semble qu'il est vraiment heureux avec elle. Je suis contente pour lui, mais l'idée que son séjour à Londres passe du provisoire au définitif me fait tout de même un pincement au cœur.

- Bon alors, finalement tout est bon pour ton inscription à l'université ? m'interroge-t-il.

- Oui, c'est parti pour un an, confirmé-je dans un sourire timide.

Officiellement, cette immersion fait partie de mon cursus universitaire pour perfectionner mon anglais. Mais officieusement, cette opportunité tombait à pic dans ma vie, et Romain n'est pas sans le savoir. Je me demande d'ailleurs si son déménagement soudain n'était pas trop bien ajusté aux événements de ma propre vie...

- À quoi tu penses ? me demande-t-il.

Je pince les lèvres et rougis un peu, hésitant à lui dévoiler le fond de mes pensées. Son regard bienveillant m'y encourage :

- Je me demandais si ta décision d'emménager avec Jane était liée à... mon besoin de changer d'air.

Je scrute son regard dont je connais le sens de chaque hésitation, et n'en décèle aucune lorsqu'il m'affirme que ce choix s'est imposé à lui comme une évidence. Le poids que j'avais sur les épaules, sans en avoir conscience jusque-là, se volatilise en un instant.

- Moi aussi j'ai une question pour toi... amène-t-il prudemment.

J'acquiesce pour qu'il enchaîne.

- Pourquoi est-ce que tu continues à t'habiller et te maquiller comme ça ?

- Comme quoi ? demandé-je pour éviter de répondre, alors que je sais très bien où il veut en venir.

- Comme quelqu'un que tu n'es pas.

- Par habitude, j'imagine, conclue-je.

Il n'insiste pas plus et le dîner se poursuit dans une ambiance détendue, agrémentée de souvenirs d'enfance et de fous rires. Romain me propose ensuite de prolonger la soirée avec Jane et un couple d'amis, mais il n'insiste pas lorsqu'il comprend que je suis fatiguée.

La nuit est tombée lorsque je retrouve mon nouveau chez-moi. Tout juste rentrée dans l'appartement, je m'adosse à la porte, les lumières encore éteintes, pour m'imprégner de l'ambiance. Le luminaire de la rue éclaire faiblement le salon de ce deux-pièces situé au premier étage de l'immeuble. Je tripote distraitement le trousseau de clés que m'a confié mon frère et souris lorsque mes doigts entrent en contact avec le scoubidou violet qu'il m'avait offert. Je sais qu'il a le même en vert sur son propre trousseau, souvenir d'un été lointain mais si parfait que nous avions passé en famille. Savoir que mon frère a vécu ici pendant trois ans me procure une sensation étrange, et à la fois réconfortante tant les lieux semblent imprégnés de lui.

Le bruit qu'émet la porte d'entrée du bâtiment me tire de ma rêverie, puis je crois reconnaître les voix de Ben et Lisa. Je retiens instinctivement mon souffle et me retourne sur la pointe des pieds pour observer le couloir par l'œil de bœuf de ma porte.

La curiosité est un vilain défaut, mais je suis la seule à savoir ce que je suis en train de faire. Lisa arrive la première sur le palier, suivie de près par Ben, tenant un sac en papier kraft qui semble contenir un repas à emporter. Tout d'abord un peu honteuse de l'observer ainsi cachée derrière ma porte, je trouve finalement que l'occasion est trop tentante. Le peu que j'ai osé observer de lui cet après-midi n'a pas contenté mon besoin de découvrir l'homme qu'il est devenu. Mais je dois bien admettre que je n'y vois pas grand-chose, finalement, à travers cette petite ouverture.

Pendant que Lisa cherche les clés, Ben se tourne vers ma porte. Au bord de l'asphyxie, je n'ose plus bouger d'un cil, de peur que le parquet ne craque sous mes pieds et trahisse ma présence derrière cet œilleton indiscret. Alors qu'ils pénètrent enfin dans l'appartement et que je me détends, mon téléphone sonne dans mon sac à main. Je grimace comme si je venais de me cogner l'orteil contre un meuble, priant pour qu'il n'ait pas entendu. Mais l'hésitation avec laquelle il a fermé sa porte ne laisse que peu de doutes sur le fait qu'il m'ait démasquée.

J'extirpe mon téléphone de mon sac pour découvrir à qui je dois ce moment de gêne et me crispe lorsque je vois le nom de Rémi apparaître à l'écran. Je refuse l'appel, pour la énième fois.

Dans un soupir las, j'allume la lumière et pose mon téléphone sur le meuble de l'entrée. Je retire mes escarpins qui me brûlent les pieds, vestiges d'une vie dont je n'ai plus envie.

Mes mains partent à la recherche de mes épingles à cheveux pour défaire mon chignon pendant que je déambule jusqu'à la salle de bain. Petite mais fonctionnelle, elle m'accueille de sa lumière un peu vacillante. Les cheveux en bataille et le maquillage fatigué, je prends le temps de vraiment m'observer dans le miroir. J'ai pourtant passé de longues heures devant la glace durant ces trois dernières années, mais je réalise que je ne me voyais pas vraiment.

Mon frère a raison. Cette fille là, ce n'est pas moi. Je dois reprendre ma vie en main et m'affranchir de ce look trop guindé pour moi dont raffolait Rémi.

Il est temps que ça change.

À deux pas de chez toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant