Ben
Installé à la terrasse du bar voisin à mon immeuble, je savoure la chaleur des premiers redoux d'avril. Lisa entrelace ses doigts aux miens, comme elle en a pris l'habitude depuis qu'on s'est rencontrés il y a quelques semaines. Son côté tactile ne me dérange pas, bien que j'apprécierais parfois un peu de distance. Je profite que le serveur apporte nos boissons pour reprendre pleine possession de ma main, me valant une moue légèrement boudeuse de ma partenaire. Jimmy m'adresse un clin d'œil complice et trinque avec moi avant de reporter son attention sur Romain et Jane. Ces deux-là ont décidé de s'installer ensemble, marquant assurément un tournant dans notre amitié. Pour autant que je m'en souvienne, Romain et moi sommes restés liés comme les doigts de la main depuis le collège. Douze ans de complicité qui ont résisté au passage de filles plus ou moins possessives.
Après avoir été mon voisin de palier durant ces trois dernières années, il déménage aujourd'hui pour vivre sa vie avec Jane. Cette anglaise au tempérament de feu s'est intégrée à la perfection à notre duo. C'est donc sans regrets ni amertume que j'aborde cette nouvelle distance entre nous.
Je revois encore son air gêné lorsqu'il me l'a annoncé :
- J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle, avait-il déclaré solennellement depuis mon canapé.
- Annonce d'abord la mauvaise alors, ai-je rétorqué plus par habitude que par réel choix.
- Je vais emménager avec Jane le mois prochain, chez elle.
- En quoi est-ce une mauvaise nouvelle ? Je vais enfin être tranquille, ai-je volontairement plaisanté pour masquer ma surprise.
Après avoir levé les yeux au ciel d'un air amusé, il s'est mis à triturer un peu trop nerveusement à mon goût la serviette en papier qu'il avait prise pour occuper ses mains. Le silence devenant alors étrangement pesant, je l'avais incité à poursuivre :
- Bon, et la bonne nouvelle alors ?
- J'ai trouvé un nouveau locataire pour mon appart, quelqu'un que tu connais.
- Ah oui ? Qui ça ?
Après une brève hésitation, il avait répondu dans un sourire amusé :
- Eh bien tu verras ça le jour J, comme tu es ravi que je déménage !
J'ai eu beau essayer de lui tirer les vers du nez, je n'ai pas réussi à démasquer qui serait mon prochain voisin. Mais le voile allait bientôt être levé, puisque c'est précisément pour attendre cette personne que Romain a proposé d'aller boire un verre dans ce bar qui a marqué les temps forts de notre vie londonienne ces dernières années.
Alors que mon esprit divague à la recherche du meilleur souvenir que j'ai dans cet endroit avec mon ami, Jimmy émet un sifflement admiratif qui me ramène à l'instant présent.
- Les gars, regardez un peu ce qui arrive droit sur nous.
Jimmy et sa finesse légendaire lorsqu'il repère une femme à son goût ...
- Ferme la bouche, t'as un peu de bave là sur le côté, lui dis-je volontairement moqueur en chatouillant sa joue de mon index.
Pour autant, il ne décroche pas son regard de la fille qui marche dans notre direction.
Ma curiosité l'emporte et je profite que Lisa vienne de s'absenter quelques minutes pour y prêter plus attention aussi. Je la repère rapidement et dois reconnaître qu'elle a du style, vêtue d'un tailleur et d'escarpins noirs. Sa démarche assurée, et la valise qu'elle fait rouler à côté d'elle lui donnent l'allure d'une hôtesse de l'air.
Nous voyant tous deux focalisés sur cette inconnue, Romain tente un regard discret vers elle avant de nous sermonner, choqué.
- Vous êtes sérieux ?! C'est ma sœur, vous abusez !
Jimmy passe nerveusement une main dans ses cheveux en me regardant d'un air idiot, bien conscient d'avoir manqué de classe sur ce coup-là.
Au comble de la surprise, je reporte mon attention sur Romain qui trottine vers sa sœur. Je ne sais pas ce qui me surprend le plus, de la voir ici ou de ne pas l'avoir reconnue. Ses larges lunettes de soleil y sont sans doute pour quelque chose, mais c'est surtout son style général qui est bien loin de l'image que j'avais gardé d'elle. Seules les quelques mèches blondes qui s'échappent de son chignon trahissent la jeune fille naturelle qu'elle était.
J'essaie de me souvenir à quand remonte notre dernière entrevue lorsque Lisa reprend place à mes côtés. Alors que Jane lui explique ce qu'elle a manqué, je la sens se crisper légèrement à côté de moi, et sa main retrouve sa place de choix sur la mienne comme pour s'assurer que je reste auprès d'elle.
Mon ami et sa sœur approchent, un sourire illuminant leur visage. Je ne peux m'empêcher d'observer les changements que le temps a opéré sur Flavie, et suis forcé de constater que ses courbes ont bien changé. Quand diable est-elle devenue si femme ?
Cette nouvelle image de femme à l'allure un peu stricte se superpose à la dernière que j'avais gardé en mémoire, où elle était adolescente.
Encore sous le coup de la surprise, je me lève maladroitement lorsqu'ils arrivent à notre table :
- Salut, dis-je un peu hésitant et affligé par la banalité de mon accroche.
- Salut, répond-elle dans un souffle.
Ma main posée sur son épaule, je me penche vers elle pour lui faire la bise. Son parfum me fait voyager cinq ans en arrière et une myriade de souvenirs se bousculent dans ma tête. Son rire communicatif, sa timidité, son humour bon enfant et ce regard pensif qu'elle arborait souvent, sont autant de moments partagés qui refont surface. Je suis ébahi par l'efficacité de ma mémoire olfactive, et je n'entends pas de suite que Romain s'adresse à moi.
- Oh, Ben, t'as entendu ? m'interpelle-t-il.
Devant mon air étonné, il répète :
- Je te présente ta nouvelle voisine, ajoute-t-il dans un sourire triomphant avant d'exploser de rire en constatant à quel point je suis surpris.
Je m'attendais à tout sauf à ça, je dois bien l'admettre.
Je reprends ma place à côté de Lisa qui pose poliment des questions à Flavie, tout en se collant davantage contre moi. Cette façon de marquer son territoire m'arrache un sourire amusé. Je dépose un baiser rassurant sur ses cheveux dont l'odeur de shampoing à la pomme envahit agréablement mes narines. Même s'il est caché sous ses lunettes de soleil, je sens le regard vert intense de Flavie posé sur moi et me tourne instinctivement vers elle. Elle détourne rapidement la tête pour se focaliser sur mon meilleur ami qui fait preuve d'un enthousiasme débordant, me faisant prendre conscience à quel point sa sœur lui avait manqué ces derniers mois. Je laisse mes amis faire la conversation, trop occupé à me demander ce qui a bien pu arriver à Flavie pour qu'elle me paraisse si différente.
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À deux pas de chez toi
RomansaUne nouvelle ville où tout recommencer, voilà ce dont Flavie avait besoin. Mais sa volonté vacille quand elle part en sachant que son nouveau voisin n'est autre que le meilleur ami de son frère, pour qui elle avait un faible à l'adolescence. Quand s...