CHAPITRE III

1.4K 78 2
                                    

Pas de bol !

Ma carcasse alcoolisée avait totalement oublié que ma mère était de service cette nuit-là, à l'hôpital. Mais en même temps, qu'est-ce que je pouvais bien faire de la responsabilité que je m'étais mise sous le bras ? Je ne pouvais pas me résigner à laisser cette fille mourir.

Sans surprise, j'avais eu droit à une crise d'hystérie.

— Qu'est-ce que tu faisais dehors en pleine nuit ?!

Évidemment, j'étais trop sous le choc des événements pour répondre.

— Je... Je ne sais pas...

— Tu ne sais pas quoi, Frédérique ? avait tonné ma mère, colérique.

J'avais dû lui raconter un nouveau mensonge, ce qui n'avait pas du tout été facile dans mon état. Ma déformation de la vérité avait été de faire croire à ma mère que j'étais allée à une soirée chez une amie, qu'une fille avait décidé d'aller fumer dehors et qu'elle s'était malencontreusement fait attaquer. Je ne savais pas à quel point mon discours avait été convaincant, mais bizarrement, ma mère avait accroché. Et si ce n'était pas le cas, c'était parce qu'elle ne voulait pas supposer que sa fille unique ait pu être si désobéissante.

— Vous ne bougez pas d'ici tant que je ne vous ai pas donné mon accord, est-ce que c'est clair ? ordonna ma mère d'un ton ferme. Maude et toi partirez à l'aube et pas avant !

Sur ce, elle traversa le couloir dans l'intention de retourner à son poste. Cependant, à la dernière seconde, elle se retourna vers moi et me lança d'une voix encore plus furibonde :

— Soit dit en passant, ta promesse n'a pas été tenue. Tu sens l'alcool à plein nez !

Je ne rouspétai pas et me résignai à m'asseoir sur une des chaises de la salle d'attente. Comme si ma mère ne suffisait pas, il fallait que ma meilleure amie s'emporte et ajoute son grain de sel.

— Qu'est-ce qui t'a pris de lui mentir ? Encore !

— Que voulais-tu que je fasse ? éludai-je dans un haussement d'épaules. Je te rappelle que si j'avais tout balancé, tu serais dans les emmerdes tout comme moi ! Alors contente-toi du fait que je t'ai sauvé les fesses !

Nous regagnâmes vite le silence.

Durant les minutes qui suivirent, je ne pus m'empêcher de repenser au reproche que m'avait fait Maude ; la vérité allait éclater à un moment ou à un autre. Cette inconnue, une fois en état de parler, allait bien évidemment expliquer à ma mère qu'elle ne nous connaissait pas et qu'elle n'était à aucune soirée nous incluant. Visiblement, j'étais très douée pour me mettre dans les ennuis.

Je me demande ce que papa en aurait pensé.

Je songeai que j'allais très certainement me rendre malade si je restais dans cet hôpital jusqu'à ce que le soleil daigne pointer le bout de son nez. La soirée de graduation était gâchée. Ce moment dont j'avais rêvé depuis mon entrée au lycée ressemblait désormais à un horrible cauchemar.

Puis ce vampire...

J'en ai encore la chair de poule.

De plus, j'étais paniquée rien qu'en repensant à ma conduite dangereuse. Mes jambes tremblaient sans que je puisse y faire quoi que ce soit. Je n'étais pas non plus douée pour me garder en vie.

— Frédérique ? m'interpella une voix au fond de la salle d'attente.

Je levai la tête, du moins, j'essayai. Mon regard ressemblait sûrement à celui d'une personne âgée au seuil de la mort, pourrissant lentement dans cet hôpital. Je me demandai comment quelqu'un avait pu me reconnaître ! Toutefois, j'arrivai à identifier la démarche unique et robotique d'Estéban ainsi que ses deux rangées de dents étincelantes. Il s'agissait d'un vieil ami de mon père, qui était également médecin. D'où le boulot de ma mère et mon intérêt pour ce métier.

— Fred ! s'exclama-t-il en avançant vers moi.

Je souris timidement et tendis mes bras pour lui faire un câlin.

— Comment vas-tu ?

— Disons que ça pourrait aller mieux, répondis-je en esquivant un second sourire.

— Ta mère m'a raconté. Elle m'a demandé de venir voir ton état. Tu es encore ivre ?

C'était une question si essentielle que je n'avais pas pris le temps de me la poser ! Suis-je bourrée ? J'avais tout de même été capable de me rendre à destination sans mourir alors que je dépassais les cent vingt kilomètres-heure. Ce n'était vraiment pas si mal pour une fille soi-disant ivre.

— Heu, bah non. Je ne crois pas, bredouillai-je en guise de réponse.

Sur ce, il agrippa mon visage afin de m'examiner de plus près. La lumière de sa minuscule lampe de poche survola mes pupilles ainsi que mes iris de couleur marron, ce qui m'aveugla un instant. Estéban rigola.

— Ce qui t'est arrivé doit avoir éradiqué toute forme de plaisir à ta soirée, ainsi que les effets de l'alcool. (Il s'éloigna de quelques pas.) Ne bouge pas.

J'obéis. Il revint bien vite avec deux verres d'eau qu'il offrit à ma meilleure amie ainsi qu'à moi.

— Vous devriez penser à vous hydrater lors de votre prochaine soirée. C'est important.

— Merci.

J'avalai le tout en une seule fois. Ma gorge qui me donnait l'impression d'être aussi sèche que le désert sembla se revivifier doucement.

— As-tu vu le vampire qui a agressé ta camarade ?

— Non. Enfin, si. Il nous a pourchassées jusqu'à la frontière de la ville. Il courait si vite, racontai-je en clignant des yeux à répétition sans pouvoir m'en empêcher. Il paraissait n'être qu'un mirage. J'ai eu si peur.

— C'est exactement l'effet qu'il voulait produire chez toi, répondit Estéban sur un ton qui pouvait laisser croire qu'il prenait mon histoire un peu trop à la légère. Vous pouvez retourner à Sirhastir tout de suite, si vous le souhaitez. Le temps de vous y rendre, le soleil commencera à se lever.

— Vraiment ? m'étonnai-je.

— Et qu'est-ce qu'on fait pour ta mère ? demanda Maude qui avait bondi de sa chaise afin de se joindre à la conversation. Elle nous a dit de ne pas bouger d'ici.

L'homme devant nous afficha un regard compatissant. Nous devions sans doute lui remémorer toutes les conneries qu'il avait faites en compagnie de mon père lorsqu'ils avaient notre âge. Je songeai même au fait qu'ils dussent être pires que nous. Avant ce soir-là, je n'avais jamais fait de bêtises à proprement parler.

— Je m'occupe d'elle. Vous n'avez plus à vous en soucier, les filles. Filez.

Il semblait sérieux. Sans attendre, j'attrapai ma veste et l'enfilai. Je regardai Estéban une dernière fois afin d'être sûre et certaine que j'avais bien le feu vert.

— Rentre bien et j'espère que tu passeras nous voir plus souvent dorénavant ! (Il sourit.) Tu as bien vieilli et embelli. Tu te transformes en une magnifique jeune femme. Ton père serait fier de toi.

Je ne dis rien, je lui adressai seulement un petit hochement de tête en signe de reconnaissance. Je m'empressai de rejoindre l'ascenseur. Puis, quand les portes se refermèrent, j'entendis vaguement les dernières salutations d'Estéban :

— Bonne nuit, Frédérique.

Le Café RougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant