CHAPITRE XXI

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Je ne contrôlais plus rien.

Je savais pertinemment que je ne reverrais plus jamais ma mère, que je ne reverrais plus jamais Maude ou Jason. Je commençais à me dire que sa douceur et sa naïveté me manquaient. Et dire que tout ça n'était parti que d'une simple insatisfaction sexuelle.

Je soupirai une fois les pieds en dehors de mon camion. Je me trouvais là où tous mes maux avaient commencé ; Aeston. La rue qui serait sans aucun doute celle sur laquelle on allait me retrouver morte, comme Estéban et beaucoup d'autres qui n'avaient pas su réfréner leur curiosité.

— Fred ! fit Isabelle quand j'entrai dans le café.

Elle s'approcha, toujours de sa démarche féminine agencée à ses talons-hauts. En la scrutant davantage, mon seul réflexe fut de froncer les sourcils. Le regard qu'elle m'échangea me donna l'effet d'une gifle au visage ; elle avait l'air tourmentée et terrifiée. Je n'avais jamais vu Isabelle dans un tel état. Un état qui la rapprochait de l'espèce humaine, et pourtant ! Sa carrure était si droite que n'importe quel imbécile se serait rendu compte qu'elle n'était pas des nôtres.

— Frédérique, je veux que tu t'en ailles. S'il te plaît.

J'affichai de grands yeux égarés vers elle. Elle avait l'air si bouleversée face à ma présence que cela ne pouvait prédire rien de bon.

Elle m'attrapa par les épaules.

— Fred, je t'en prie, va-t'en ! m'ordonna-t-elle en me secouant si durement que j'en eus le tournis. Si tu tiens vraiment à ta vie, à ta liberté et à tes ambitions, alors pars tout de suite. Je ferai tout pour qu'Adam ne te retrouve pas, mais va-t'en pendant qu'il est encore temps !

— Je ne comprends rien.

Le fait qu'Isabelle soit si énigmatique dans ses propos me fit tilter immédiatement. Elle n'était pas censée me confier tout ça. Pourquoi me l'avait-elle dit alors ? Par gentillesse ? Par amitié ? Je ne le savais pas.

— Adam veut faire de...

Soudain, les portes vitrées et délabrées qui menaient à la boîte de nuit claquèrent en s'ouvrant. Ce qui semblait être un coup de vent était en fait Adam et Laurent. Mon maître prit une grande inspiration avant de se mettre à s'exprimer d'un ton gracieux à l'adresse de mon interlocutrice :

— Quelqu'un semblerait avoir trop parlé. N'est-ce pas, Isabelle ?

Aussitôt, Laurent se dirigea vers elle et lui infligea une gifle du revers de la main. Je sursautai, choquée. Isabelle fut propulsée contre son bureau, faisant virevolter quelques babioles.

— Tu as de la chance d'être aussi indispensable, mon cœur, ajouta Adam en la toisant. Si ce n'était pas de ton talent à enjôler les jeunes filles qui passent par ici, tu serais déjà morte.

À présent, je connaissais le véritable rôle d'Isabelle. Et j'étais tombée dans le panneau comme plusieurs autres, apparemment.

La blonde se traîna par terre avec difficulté.

— Et maintenant, que comptes-tu faire ? persifla-t-elle, amusée malgré le sang qui perlait sur ses lèvres.

Adam lâcha un rire de gorge. Il plia ses genoux afin de pouvoir se mettre à la hauteur d'Isabelle et adopta un ton décontracté :

— Eh bien, tu connais les talents de Laurent en ce qui concerne la torture. J'imagine que ça te donne une petite idée de ce qui t'attend ?

L'homme en question envoya un coup de pied contre le visage jadis parfait de ma confidente. Lorsque ses gémissements de douleur disparus, les prochaines paroles d'Isabelle éclaboussèrent l'accueil du café.

— Je suis impatiente rien que d'y penser ! déclara-t-elle en riant. (Elle regarda péniblement Laurent.) Qu'est-ce que tu me réserves cette fois-ci ? Après autant d'années, on peut commencer à manquer d'imagination.

Sans surprise, elle fut victime d'un nouveau coup.

— Elle est toute à toi, déclara Adam d'un geste nonchalant de la main.

Sans que je puisse m'y opposer, mon Maître enroula son bras autour de mes épaules. Il m'entraîna dans les ténèbres du Café Rouge sous les cris stridents d'Isabelle et les bruits des coups qui lui étaient infligés.



Le Café RougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant