CHAPITRE XX

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« La provocation est sévèrement punie, Frédérique. »

Ce fut la seule chose qui me revint en mémoire lorsque je repris mes esprits. Comme si je venais de revenir à la surface de quelque chose. En tout cas, ce n'était certainement pas de l'eau.

Je me redressai d'une traite. Contre toute attente, j'étais pleine d'énergie et totalement reposée. La fatigue n'était plus, tout comme la nuit. Le fait que le soleil soit levé à l'extérieur me fit rapidement comprendre que j'étais resté dans les vapes très, très longtemps.

Sans volonté particulière, je scrutai ce lieu que je connaissais déjà par cœur ; ma chambre, à la maison. Je voulais être n'importe où sauf ici. Cette réflexion parut beaucoup plus solide lorsque j'entendis la voix de ma mère faire écho dans la pièce d'à côté :

— Il doit bien y avoir un moyen de la sevrer. Il est hors de question qu'elle revoie cet homme, peu importe ce qu'il est !

C'est la poisse.

J'imaginai une scène dans laquelle ma mère rentre de l'hôpital, monte à l'étage pour voir si j'y suis et tombe sur Adam en train de me vider de mon sang. Une vision d'horreur. Ou alors elle n'avait fait que me trouver par terre, inconsciente. Elle n'avait peut-être pas vu Adam, mais apparemment, elle savait que je fréquentais un vampire.

En tendant un peu plus l'oreille, j'arrivai à distinguer la voix aiguë et exagérément féminine de Nathalie, la femme d'Estéban désormais veuve.

D'accord, là, c'est plus que la poisse.

Je m'extirpai de mon lit et arrachai le soluté que ma mère avait inséré dans mon bras. Je remarquai également mes fringues couvertes de sang posées sur ma commode. Si je ne les avais pas aperçus, je songeai que je ne me serais même pas rendu compte que j'étais en sous-vêtements.

Mes marques, pensai-je en cessant de respirer. Elle les a vues.

Sans aucun signe annonciateur, ma mère fit irruption dans la chambre, les yeux gonflés et les mains couvertes de sang. Elle semblait déconcertée et déçue. Son regard reflétait ce que je ressentais à mon propre égard : du dégoût et une énorme déception.

Morte de honte, je fonçai sur mes tiroirs afin de trouver quelque chose à me mettre sur le dos.

— Qu'est-ce que tu fais ? me demanda ma mère.

Sa question avait paru étrange. Probablement qu'elle n'avait pas su quoi dire. Que pouvait-elle bien dire d'autre ?

— Je sors.

— Oh, non ! Tu n'iras nulle part ! (Elle vint m'arrêter dans ma quête de l'armoire.) Tu peux immédiatement oublier ton amour pour cet homme.

J'adoptai un regard débité et ma gorge se mit à tressaillir d'elle-même, sans que je puisse la contrôler. Je ris. Je m'esclaffais comme une dévergondée qui sortait de l'asile. Visiblement, Adam m'avait pris trop de sang.

— De l'amour ? répliquai-je lorsque mon fou rire fut passé. Tu crois que c'est de l'amour que je ressens ?

Ma mère se mit à pleurer. Un mélange de peur, d'inquiétude et d'impuissance.

— Qu'est-ce que ça peut être d'autre ? Autrement, pourquoi voudrais-tu t'infliger cela ? Tu dois bien ressentir quelque chose.

— C'est tout le contraire, je le déteste ! Mais je dois le voir ! J'en ai besoin, là !

— Fred, arrête ! Je t'en prie !

Elle m'agrippa le bras, mais je me dépris facilement de sa prise.

— Non ! rétorquai-je fermement.

Une petite voix dans ma tête tenta de me faire entendre raison. Elle me disait de cesser, de redevenir moi-même et de tout arrêter. Mais l'emprise qu'avait Adam sur moi était beaucoup trop forte. Elle pesait sur moi comme si je portais une tonne de briques sur mon dos, telle une mule.

Comme si cette situation n'était pas déjà assez infernale, Nathalie entra dans la chambre afin de donner un coup de pouce à ma mère.

— Fred, calme-toi, voyons ! hurla-t-elle à mon attention. Est-ce que tu as la moindre idée de ce que tu fais vivre à ta mère ? Tu veux te faire tuer ou quoi ? Tu veux qu'on retrouve ton corps dans une benne à ordures comme Estéban ?

— Il l'avait bien cherché ! contrattaquai-je d'un ton provocant. (Nath afficha un regard perdu.) Eh oui, ton mari n'était pas aussi parfait qu'il le prétendait. C'était un pervers et un sadique, une vraie merde sans nom ! Ses agissements étaient bien pires que ceux des vampires !

Ce n'est pas toi.

Ce n'est pas toi ! Arrête ça !

Alors que Nathalie n'était plus en moyen de lui porter secours, ma mère tenta de m'adoucir de nouveau. Je faisais tout pour la repousser, mais son cœur de maman tenait bon.

— Frédérique, stop ! Tu es malade, tu as besoin d'aide !

— Je ne suis pas malade ! hurlai-je autant à elle qu'à moi-même. Lâche-moi, putain !

Je réussis à écarter ma mère assez longtemps pour franchir la porte de ma chambre, poussant Nath de mon chemin. Tandis que je dévalais les escaliers, j'entendis les pas de Carmen accourir à une vitesse supérieure, ce qui m'encouragea à accélérer. En bas, j'attrapai mon trousseau de clés qui n'avait pas bougé de son crochet à motifs pénibles, à droite de la porte d'entrée. Puis, j'ouvris. La lumière du soleil m'accueillit autant qu'elle m'aveugla.

— Frédérique !

Je rejoignis mon camion. Ma mère, elle, était restée dans l'entrée.

— Frédérique Merchant !

C'est mon nom, ça.

J'ouvris ma portière, et alors que j'allais entrer dans ma voiture et partir en trombe au travers du rond-point, je ne pus m'empêcher de jeter un dernier regard à ma génitrice.

— Je l'aimais ! Je l'aimais comme personne n'a jamais aimé, mais si tu n'as pas l'intention de me ramener ma fille, ne reviens pas ! Jamais !



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