CHAPITRE V

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Ce couloir interminable enfin traversé, deux grandes portes vitrées s'ouvrirent sur une salle gigantesque. Le premier détail incontournable qui me sauta aux yeux fut la quantité exorbitante de corps féminins dénudés, certaines sur des plateformes ou des tables, se trémoussant avec entrain. Certaines n'étaient que des serveuses, transportant cocktails et bouteilles à travers la fosse aux lions. J'y remarquai également des instruments de torture dont je ne connaissais pas les noms, excepté pour les paires de menottes qui semblaient être de base, car j'en apercevais un peu partout.

L'éclairage était tamisé dans un rouge vin qui s'agençait parfaitement avec le bruit des gémissements. C'était de la débauche à l'état pur, on aurait dit que je venais de débarquer en enfer. Tout était si rouge que je savais distinguer s'il y avait du sang sur le plancher. Seule l'odeur trahissait la couleur de la pièce.

— Amène-toi, me lança Isabelle à mon adresse avant de se diriger vers le bar qui occupait le milieu de l'immense salle.

Je la suivis sans discuter, un peu comme son chien.

— Tu veux quelque chose à boire ? C'est moi qui invite, ajoute-t-elle, une fois plantée devant le barman qui attendait la commande avec impatience.

— Un verre d'eau, s'il vous plaît. Ce sera très bien.

Elle me dévisagea, mais s'exécuta quand même.

Durant le court moment où l'attention d'Isabelle fut concentrée sur autre chose que ma personne, j'en profitai pour observer encore un peu. J'essayai de me familiariser avec l'endroit, mais n'importe qui sur cette Terre aurait trouvé la tâche compliquée.

C'est toujours aussi rouge, par ici.

Miss Beauté Parfaite revint à moi en me tendant mon verre d'eau dans lequel flottaient quelques glaçons. Je ne me fis pas prier pour le caler d'un coup avant de le déposer si fort sur le bar que je me demandai si je n'avais pas brisé le verre. Selon moi, c'était le stress qui me faisait agir de la sorte.

— Alors ? Est-ce qu'il y en a un qui te branche ? me demanda Isabelle en regardant dans la même direction que moi.

Pour une raison inconnue, cela m'avait pris beaucoup plus de temps pour remarquer les hommes. Il y en avait sans doute une dizaine. Ils étaient occupés un peu partout à travers le club, la plupart s'adonnant à des pratiques douloureuses – pas pour eux.

— Je n'ai pas vraiment pris le temps de regarder, me défendis-je mollement.

— Si je peux te donner un petit conseil, choisis Laurent. Je parle par expérience.

Cette fois, ce fut moi qui la toisai.

Est-ce que cette femme s'est tapé tous les hommes présents ici ? Je me le demande bien !

Isabelle me regarda du coin de l'œil, comme si elle avait lu dans les cavités de ma cervelle.

— Quoi ? s'exclama-t-elle avec hilarité. L'éternité est longue, tu sais. Il faut bien que je m'amuse un peu et puis, ça me permet de bien diriger les clients dans ce qu'ils veulent.

— Les clients ? Des gens paient pour ça ?

— Ça dépend. Tu donnerais de l'argent, toi ?

— Certainement pas ! J'imagine que vous ne considérez pas ces gars comme des prostitués, tout de même ?

Elle rit.

— Non, bien sûr que non. Évidemment, rien n'est vraiment gratuit. Pour nous, l'argent ne vaut rien. Tu paies de ta vie, chère. De ton sang.

Soudain, celui-ci mentionné devint glacé. Pour Isabelle, cependant, ce discours semblait des plus naturels. Elle sirotait tranquillement sa bière en attendant que je la relance.

Visiblement, il n'y avait plus moyen de jouer « Les Saintes Nitouches ». Si j'étais là, ce n'était certainement pas parce que je voulais devenir la soumise de quelqu'un, et encore moins pour me transformer en machine distributrice pour vampires. J'avais été entraînée par la curiosité et par mon envie de fun. Était-ce si mal que ça ? Je cherchais de l'adrénaline pure et dure, et voilà qu'on m'en offrait sur un plateau d'argent. Comment refuser ?

Je revins à Isabelle.

— Vous avez mentionné qu'il y avait des règles, tout à l'heure. Pouvez-vous être plus précise ?

— Eh bien, ça dépend. Comptes-tu venir ici régulièrement ? m'interrogea-t-elle d'un ton plus professionnel. Si tu n'es que de passage, ça change tout.

— C'est-à-dire ?

— La plupart de nos dominants tiennent à avoir des soumises qui vivent dans le coin et qui savent à quoi s'attendre. Est-ce que tu vis ici ? À Sirhastir ?

— Oui.

— Je te propose quelque chose... (Elle fronça les sourcils.) Quel est ton nom ? Tu ne t'es pas présentée, je crois ?

— Non, répliquai-je. Je m'appelle Frédérique.

— Alors, Fred, je te propose de revenir ce soir. Mes garçons seront tous là et tu auras plus de chances de faire des rencontres, car en ce moment, il n'y a pas de quoi s'ambiancer. C'est mort.

Mort.

C'est le cas de le dire !

●●●

En sortant du café, je m'étais empressée de monter dans mon camion noir, de reconduire Maude chez elle et d'aller m'affaler dans mon lit. D'ailleurs, je m'y étais endormie assez rapidement. J'étais totalement épuisée de ma soirée et de ma matinée.

Par chance, Maude ne m'avait posé aucune question, étant donné que j'étais partie explorer ce café sans aucune raison particulière. La seule chose avec laquelle elle m'avait embêtée était notre sortie à la fête foraine avec Jason. En réalité, ma motivation et mon envie de m'y rendre étaient mortes et enterrées. J'avais divagué, expliquant à Maude que j'étais trop fatiguée. J'avais réussi à gagner une journée de répit en remettant le projet de la foire au lendemain.

Je m'étais réveillée à dix-neuf heures, et dehors, la mort avait récupéré sa place ; les heures ensoleillées étaient passées. Je m'étais donc dépêché à enfiler une paire de jeans noirs, accompagnée de mon débardeur blanc favori. Je m'étais coiffée et maquillée, par crainte d'avoir l'air plus morte que les gens là-bas. J'avais chaussé mes pieds avec mes bottes favorites, pris mes clés et avais foncé vers Le Café Rouge.

Je me retrouvai alors sur la rue Aeston pour la seconde fois, cette journée-là. Tout semblait avoir été dupliqué : le nombre de personnes, la luminosité du néon, l'odeur de sexe. Je n'osai pas imaginer à quoi ça ressemblait à l'intérieur du club.

Je faillis rebrousser chemin, mais une voix féminine m'interpella avec enthousiasme ; Isabelle. Elle fumait une cigarette sur le trottoir. Lorsqu'elle m'aperçut, elle se dirigea vers ma Jeep en faisant lourdement claquer ses talons sur le béton.

— Frédérique ! clama-t-elle en ouvrant la portière de ma voiture pour que je puisse en sortir. Dis donc, tu as bien meilleure mine que ce matin !

Je me contentai de lâcher un rire embarrassé. Puis, avant même que je puisse m'y préparer, elle passa son bras autour de mes épaules et m'entraîna vers le café. Désormais, il était impossible de faire marche arrière.


Le Café RougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant