CHAPITRE VII

1.3K 71 0
                                    

Je rejoignis le bar central d'un pas rapide, espérant qu'Adam le prétentieux n'aurait pas l'audace de me suivre. Mais pour qui il se prend celui-là ? J'avalai le reste du verre que je m'étais approprié à la table de celui-ci et ne pris pas la peine d'avertir Isabelle de mon départ. Le trajet jusqu'à la sortie me parut infini, surtout avec cette crainte que le vampire soit derrière moi.

« Je te conseille de me suivre, sinon il viendra te chercher lui-même... » Mes fesses, oui ! pensai-je, énervée. Si seulement j'avais su, je serais restée sur la piste de danse afin de continuer à gesticuler avec entrain sur cette musique techno insupportable.

Je m'installai derrière le volant de mon camion et démarrai le moteur. Je croisai plusieurs immeubles que je ne pris pas la peine de regarder étant donné la vitesse à laquelle je roulais. Je retrouvai le calme de la ville quelques rues plus loin. J'avais décidé de rentrer, même si l'envie n'y était pas. Ce que je voulais vraiment, c'était dormir et espérer que cette expérience ne devienne qu'un vague souvenir. Je voulais reprendre ma vie normale et prétendre que je n'avais jamais mis les pieds dans ce club.

Je ne savais pas ce qui m'avait fait croire que c'était une bonne idée. Je m'étais laissé aller dans l'adrénaline de la nuit d'avant et voilà le résultat. L'idée de faire quelque chose d'interdit m'avait peut-être allumée, en quelque sorte. Ma vie d'adolescente bien rangée et mon titre d'étudiante modèle devaient bien finir par avoir une petite faille. Personne n'est parfait !

Une fois arrivée chez moi, j'avais stationné ma Jeep à l'endroit exact où elle se trouvait avant que je ne parte à l'aventure au Café Rouge. C'était pour éviter que ma mère ne me passe un savon. Je m'étais esquivée à la cuisine afin de boire un grand verre d'eau, espérant me débarrasser de l'arrière-goût d'alcool que j'avais encore dans la bouche, et j'étais montée à l'étage.

La nuit s'était avérée longue. À part tourner en rond dans ma chambre en attendant la venue du jour et me donner l'illusion que je dormais alors que je n'avais que les paupières fermées, je n'avais rien fait de constructif. Par chance, j'avais tout de même réussi à m'enfoncer dans un sommeil que je qualifierais de compensateur avant de me faire réveiller par un coup de fil provenant de Maude. La fête foraine, me rappelai-je en me palpant le front. J'avais oublié ce projet insignifiant.

Je soupirai :

— Est-ce que tu tiens vraiment à y aller ?

— Oui ! Tu avais promis, Fred ! me cria Maude au téléphone.

Il n'en fallut pas davantage. Après un semblant de déjeuner et une courte conversation vide d'intérêt avec ma mère, j'avais repris la route jusque chez Maude qui guettait mon arrivée depuis sa fenêtre à carreaux. Ensuite, ce fut le tour de Jason. Ma meilleure amie n'avait pas manqué de l'inviter, malheureusement.

Le trajet jusqu'à Rouen fut agréable ; pas un seul mot. Maude se contentait de manger sa barbe à papa que j'avais promise et trouvée dans une tabagie où je m'étais arrêté pour faire le plein. Il valait mieux acheter ça à la tabagie plutôt que de payer un prix fou à la fête foraine. Et que pouvais-je bien dire à propos de Jason ? Il ne faisait que caresser ma cuisse droite en m'échangeant un sourire de temps en temps. À mon avis, l'histoire de la soirée romantique à laquelle j'avais posé un lapin avait été oubliée. C'était comme si rien de tout ça n'avait jamais été mentionné. Il n'avait fait que me demander si je voulais qu'il prenne le volant à plusieurs reprises. Une proposition à laquelle je n'avais fait que refuser malgré son entêtement. Le fait de conduire me donnait une bonne raison pour ne pas faire la conversation.

Ce n'était qu'une fois arrivé là-bas que les galères avaient commencé : les manèges, les gens, la foule. Tout ce que je détestais.

— Allez, viens ! dit Jason avec entrain, espérant me convaincre.

La grande roue ; le classique du romantisme. C'était exactement pour cette raison que je ne voulais pas y monter avec lui.

— Non, vraiment, je vais passer mon tour. J'ai le vertige de toute façon, mais Maude peut y aller avec toi !

— Je ne me permettrais pas ! répondit-elle en me poussant dans les bras de Jason. (Elle m'adressa un clin d'œil discret.) Je vais aller chercher quelque chose à manger en vous attendant. Prenez votre temps !

Sur ce second combat perdu, je me laissai entraîner vers la file d'attente. Lasse, je restai silencieuse, observant tout et n'importe quoi sans attention particulière. Puis, finalement, ce fut notre tour. Je passai devant et m'installai dans la cabine, regrettant déjà d'y être. Jason m'y rejoignit, un sourire complice à lui-même se dessinant sur son visage.

— Pour une fille qui a le vertige, tu sembles plutôt à l'aise, me fit-il remarquer en enroulant son bras autour de moi comme si j'étais une petite chose sans défense.

— Tant que je ne regarde pas en bas, j'imagine que ça ira.

Le manège démarra quelques secondes plus tard et nous amena rapidement au sommet. Soudain, je réalisai à quel point les moments passés en présence de Jason étaient fades et sans saveur. Je n'avais jamais rencontré quelqu'un d'aussi insipide.

— Alors...

— Quoi ? l'interrompis-je.

— J'ai beaucoup réfléchi à ce qu'il y a entre nous.

— Oui ?

— Je me suis dit que c'était inutile de continuer de se cacher et de ne pas s'afficher. J'en ai discuté avec Maude, et elle m'a dit que ce serait peut-être bien que je te demande d'être ma petite amie. Officiellement, je veux dire.

S'il y avait eu un moyen que je saute du manège sans que ce soit considéré comme dangereux ou suicidaire, je crois que je me serais exécuté immédiatement. C'est la meilleure ! Jason qui me demande d'être sa petite amie ! J'étais bouche bée. Je ne savais même pas quoi répondre. Ma seule réaction face à la situation fut de m'évader à travers la forêt et les fougères que j'apercevais au loin, tout ça en essayant de trouver la force de répondre un truc qui tenait debout.

— Tu sais, Jason... (Je me raclai la gorge.) J'ai apprécié ce que nous avons partagé, mais aller dans quelque chose de plus profond avec toi ne fait pas du tout partie de mes projets. À la fin de l'été, je pars d'ici. Je n'attends que ça. Donc ce n'est vraiment pas la peine que tu t'accroches.

Sans surprise, je n'eus droit qu'à un long silence.


Le Café RougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant